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Pompier(s)

mise en scène Catherine Schaub

: Entretien avec Catherine Schaub

Propos recueillis par Pierre Notte

Quelle est la langue que parle cette jeune fille ?


Cette jeune femme croit ce qu’on lui dit. Pour elle, les mots ont une valeur réelle. Dans sa problématique, d’autres femmes lui ont donné les mots qu’elle n’avait pas : « des mots sous mes mots », elles ont nommé des actes sexuels qu’on lui a fait et qui ont pris alors réalité. Son langage est concret, elle utilise la métaphore, les images l’aident à concrétiser sa pensée. Jean-Benoît Patricot crée une langue singulière et réussit à nous faire percevoir l’étrangeté et la créativité de sa déficience.


Quel âge a-t-elle au bout du compte ?


Autour de 25 ans.


N’était-ce seulement qu’une question d’amour ?


Elle croyait en recevoir, elle pensait que c’était ça, aimer...Elle aime cet homme et il l’aime aussi car il lui a donné le plus intime. C’est ce qu’elle croit. Pourquoi donner l’intime si on n’est pas intime ? Elle se donne et accepte le partage pour lui faire plaisir, parce qu’elle croit  « qu’on ne dit pas non quand on aime et que celui qui vous aime vous veut du bien ». Elle a subi des traumatismes tout au long de sa vie, mais elle garde quand même une sorte de joie. Le plaisir de donner, de se donner. Le pompier est un bon élément. Ses chefs le disent, ses collègues le respectent. Ce qu’il vit avec elle pourrait, dans un premier temps, être tolérable. Mais la fréquence, l’absence de considération finissent par dénaturer leur relation. Il dit : « Tu ne disais pas non et tu revenais », elle répond : « Je ne savais pas que je pouvais dire non »...


Mais qui est coupable dans cette affaire ?


La loi dit  « Lorsqu’il n’est pas établi que la relation sexuelle a eu lieu sous la contrainte, rien ne prouve que l’acte ait été imposé par la violence, la menace ou la surprise. » Dans son cas, peut-être à cause de son handicap et/ou de sa façon singulière de percevoir les choses, elle ne dit pas  « non  » mais peut-on considérer qu’il y a consentement ? L’absence de recours à la contrainte ne signifie pas pour autant qu’il y ait consentement. Ce texte nous rappelle que l’assentiment à un acte sexuel reste une notion compliquée à appréhender


Les personnages changent-ils, évoluent-ils au terme de leur dialogue, de leur échange ?


La forme c’est le duel, le huis clos. Deux personnages enfermés dans une même pièce au tribunal. Il y a deux axes. Avant le procès, puis après la délibération. Dans la première partie, la scénographie travaille sur les perspectives d’une pièce découpée avec ses angles et ses pliures. Les corps sont tantôt écrasés tantôt déployés. Ils se tournent autour. Une chose demeure : la jeune femme est ancrée dans le sol, face à un homme qui cherche la bonne position... Il se cherche face à une quête de compréhension et de reconnaissance tenace.Après le jugement, elle et lui sont suspendus à de nouvelles lignes de fuite. Les dominations s’inversent, les arguments se cognent, s’essoufflent et vacillent, comme le point de vue du spectateur : sous quel angle considérer ce drame ? Celui de la loi ? De la morale ? De la psychologie ? De la linguistique : elle n’a jamais dit non après tout...


Est-ce un théâtre militant, vous dites « coup de poing », que vous défendez ici ? Que souhaitez-vous faire vivre au spectateur ?


Les mots de Jean-Benoît Patricot ont la force nécessaire pour nous bousculer, ne pas nous laisser indemnes. Non pas pour blesser ou pour choquer, mais pour faire ressentir physiquement la question soulevée : celle des limites et du respect de l’autre. Cela passe par la violence de l’émotion... Conduire le spectateur à un état émotionnel diffèrent de celui dans lequel il était en entrant dans la salle. L’émotion comme vecteur de la réflexion...


Quelle est votre priorité de metteuse en scène ? Votre projet premier ?


L’incommunicabilité est une chose qui me terrasse. Parfois, on veut communiquer avec quelqu’un qu’on aime, mais on n’y arrive pas. Un décalage s’immisce créant un conflit, on utilise la même langue mais l’émission et la réception sont décalées. Ces deux personnages ont vécu une  « histoire  » mais pas la même. Lui est dans la pulsion et le désir, et elle parle d’amour. Ils sont dans l’impossibilité de se comprendre. J’ai choisi deux acteurs intenses pour incarner ce texte, et ma priorité est de faire entendre la langue précise et puissante de Jean-Benoît Patricot. Le plateau est nu. Il y a un angle devant lequel ces deux personnages s’affrontent, chacun doit sauver sa peau. Le spectateur doit être en apnée devant cet enjeu énorme, je veux qu’il se perde dans ses jugements et dans ses repères. Et peut-être faire en sorte que nous puissions nous questionner sur la violence d’une société qui valorise à l’excès le désir, qui se déshumanise et ne tient plus compte de la singularité et de la fragilité des êtres. Et puis il y a ce que dit Jane Fonda qui m’a beaucoup marqué : « Non est une phrase. »

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