theatre-contemporain.net artcena.fr


: Mise en scène et scénographie

« Il m’est toujours difficile de donner un descriptif précis et détaillé d’une mise en scène ou d’une scénographie puisque cette construction est sans cesse mouvante. La Compagnie Libre d’Esprit travaille d’abord sur un plateau nu, sans décor ni costumes, sans maquillage ni béquilles superfétatoires. A l’image de Platonov, qui déconstruit pour construire, mon travail part des comédiens et ne s’appuie pas sur des éléments extérieurs. A l’image de Platonov, qui vit dans l’instant, je veille à ne pas nous laisser paralyser par un excès de certitudes pré-établies, à ne pas présumer d’une kyrielle de préjugés. Je tâche d’intégrer le contexte émotionnel, physique et pratique de l’instant de la répétition à notre quête de création. Je suis convaincu que les « accidents » de répétition, si l’on est suffisamment en éveil pour les accepter, peuvent engendrer du sens. Je tire à l’extrême des fils ténus, qui sont les propositions de chacun, pour en tirer leur quintessence.


Certains fils sont abandonnés en cours de route, d’autres contribuent à tisser notre toile. Je m’impose et requiers de mes comédiens une disponibilité d’esprit totale pour accepter tout ce qui surgit sur le plateau, par la magie du théâtre, par la communion de ceux qui sont sur scène et mettent leur corps et leur sensibilité de l’instant au service du texte. J’aime me faire surprendre par mes comédiens. Je veille à les faire participer à part entière à ce que sera la mise en scène et la scénographie. Nous nous épanouissons ensemble dans un travail pérenne puisque les comédiens de la Compagnie Libre d’Esprit ont tous entre cinq et dix ans d’ancienneté. Ainsi, nous connaissons les objectifs que nous partageons et nous travaillons en osmose. Dans mon travail, j’associe une lecture précise du texte et un important travail sur le jeu des comédiens et leur implication physique. Notre équipe est à la recherche d’un théâtre populaire, affirmant la théâtralité et la priorité donnée au jeu de l’acteur.


Toutefois, Platonov est un projet qui m’habite depuis de nombreuses années et qui a mûri tout ce temps.


J’ai choisi de ne pas situer ni dater la pièce, je ne donne aucun signe d’époque ou de lieu. Ma perspective de travail sur Platonov étant son rapport à l’amour, le thème est, par définition, éternel et universel. Le tourbillon d’une musique festive de bal ainsi que les bouteilles d’alcool qui se vident parachèvent l’installation d’un contexte non pas spatio-temporel mais d’un contexte de vie. Tchekhov constitue une galerie de personnages haut en couleurs, qui sont tous plein de vie.


L’écriture de Tchekhov n’est ni moralisatrice, ni manichéenne, et j’aime l’idée que l’on s’attache à chacun des personnages. Il s’agit d’abord d’une bande d’amis réunis pour une soirée, histoire de bavarder, de cancaner, de tromper l’ennui, de manger, de danser, de boire aussi bien sûr. Tout pourrait bien se passer, mais entre rires et larmes, ivresse feinte ou réelle, propos joyeux ou cruels, tendresse, désir, provocation, désespoir, le drame finira par arriver. Mais ce qui me touche tout particulièrement est que le drame arrive, subrepticement, par les voies de la légèreté. L’humour est omniprésent dans le texte de Tchekhov. Il fend l’air, il est le terreau de l’énergie de ces personnages qui aspirent à autre chose que leur misérable quotidien. Cette forme d’humour « jusqu’au boutiste », même à l’approche de la mort, me parle personnellement, elle m’est familière. Le jaillissement de l’humour alors qu’on est à genoux, broyé sous le sceau d’une violence extrême, je l’ai connu dans ma jeunesse au Kosovo.


Les costumes reflètent une esthétique mondaine qui tombe en lambeaux au fur et à mesure du temps, à l’image de la déchéance de Platonov. Les maquillages accentuent discrètement les caractéristiques des personnages, soulignant les visages et les expressions des comédiens, en fonction de leurs rôles qui sont les éternels emplois de Tchekhov : l’instituteur, le médecin, le voleur, le militaire, le rentier… L’ambiance générale est obtenue par une lumière bleutée, évoquant un clair-obscur. Chaque lieu est ensuite caractérisé par un éclairage qui lui est propre : lustre défraîchi, lampions, bougie…


Sur la scène, les différents lieux que Platonov traverse sont des espaces restreints. Ils sont avant tout les espaces de l’action : la maison de Voïnitzev, l’école, le bureau du Général Voïnitzev. Ces espaces sont matérialisés par des décors minimalistes. Ils ne sont pas réalistes, ils sont simplement suggérés par d’humbles éléments et donnent à voir ce qui est pour moi à observer : une matière humaine brute de décoffrage, dans toute sa simplicité, son authenticité et sa nudité. L’extérieur, notamment le jardin, m’apparaît comme un espace d’action primoridal, où tous les personnages vont et viennent. Ca n’est finalement pas dans la sphère privée du huis clos que se joue l’intrigue mais à l’extérieur, à l’extérieur du salon comme en dehors des parades sociales. La pièce commence sous le signe d’une chaleur moite qui invite à prendre l’air à l’extérieur, et à s’évader du même fait, de l’étouffant conventionnalisme social. Le jardin est matérialisé par un banc. Un décor nullement naturaliste, mais fait de signes. Un leitmotiv pour ces personnages qui, ne sachant où aller et tournant à vide, reviennent toujours s’assoir sur ce banc. Au départ, chez les Voïnitzev, les chaises sont soigneusement placées, le mobilier très organisé. Mais très vite, l’ordonnance est chavirée. Les chaises ne tiennent pas en place, pas plus que les personnages qui passent leur temps à entrer, sortir, se contredire, (s’)aimer un instant et (se) détester le suivant. »

Nikson Pitaqaj

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.