La mise en déroute de l'espace théâtral, qui est d'abord envisagé comme espace d'exposition, vise à déplacer l'attention du spectateur. Ainsi, il peut entrevoir que le spectacle qu'il va voir questionne son rapport à l'image photographique ou picturale. C'est pour cela que le dispositif, qui fait traverser aux spectateurs l'espace de la scène, ressemblera à une exposition d'art contemporain dont les oeuvres seront notamment des tableaux vivants incarnés par les acteurs. Cette première image, forte, de chacun des comédiens, sera modifiée au fil de la pièce, mais imprimera la rétine et l'imagination des spectateurs. Il s'agit de s'autoriser à voir et à renverser les points de vue. Est-ce une oeuvre d'art ? Une performance ? Comment le corps peut-il faire image ?

Chaque angle de vue doit pouvoir être réinventé au fil du spectacle, notamment grâce à la projection des photographies prises en direct sur un rideau lacéré, dont la légèreté et la mobilité permet mouvement, fluidité et transformation perpétuelle de la qualité des images projetées. Il peut être traversé par les comédiens, qui par-delà les images, modifient le paysage et déchirent la surveillance du regard photographique. L'ekphrasis d'Heiner Muller va d'autre part se retrouver diffractée à la fois par la construction dramaturgique de la pièce et par un jeu de multiple dans l'espace. Chaque objet suspendu se trouve contredit par ses répliques : ce sont tous des verres et pourtant ils sont tous différents. Aucun des accessoires n'est superflu. La scène qui se joue se rejoue sans cesse dans l'oeil qui ne sait pas qu'elle interprétation choisir.