" Pas Bouger a été écrit à partir d'une proposition plastique : une maquette de scénographie réalisée par une plasticienne, Christine Hugel. Sur une surface de sable blanc des pions verts alignés régulièrement. D'un côté un pion rouge, de l'autre une petite figurine : un cycliste sur son vélo. Tout de suite l'idée m'est venue d'un personnage en mouvement opposé à des personnages identiques et immobiles. M'est venu aussi à l'esprit ces statues de terre cuite, toute cette armée (7000 hommes) reconstituée par un empereur chinois. D'où la consonance chinoise du pays Ming.

Opposition donc entre celui qui bouge et ceux immobiles. L'un "normal" avec une langue qui nous est familière, les autres ayant oublié ou n'ayant jamais connu cette langue "normale", n'en n'ayant retenu que l'essentiel, le nécessaire à la condition immobile des Ming. Langue d'avant, langue à côté, quand on a, comme l'un des trois Ming, oublié bouger la langue dans le palais pour produire des sons.

Tout les oppose mais justement, ce qui me plaisait d'écrire, c'était la manière qu'ils trouveraient de s'approcher, de peu à peu se trouver, de peu à peu communiquer. Ce qui les réunit aussi, c'est l'absurdité de leur contrainte respective, c'est d'une certaine façon que l'un et l'autre se rebellent contre un système et qu'à la fin chacun finalement arrive, ou est sur le point d'arriver à autre chose, une nouvelle vie.
Ce thème-là, la difficulté d'avancer dans l'existence, les étapes, épreuves qu'il faut franchir pour continuer, vieillir, est présent dans beaucoup de mes livres, romans ou pièces de théâtre mais ici, ce que j'aime c'est la légèreté, le côté "sans en avoir l'air", qui guide cette idée. La vraie nouveauté dans mon travail est dans ce ton, l'humour du premier abord, avec en arrière-plan des choses plus profondes et plus graves.

Une pièce de théâtre écrite c'est une chose en soi, le texte simplement lu est déjà, il me semble, drôle, mais c'est aussi et surtout un objet qui prend forme avec la rencontre d'un metteur en scène et d'acteurs. La réussite de Pas Bouger tient dans cette alchimie entre Jean-Marc Bourg, metteur en scène et acteur, Alex Selmane, acteur, et le texte. Le dispositif particulier, cette position des spectateurs au milieu de l'action est très importante : d'une part j'ai toujours le sentiment en voyant le spectacle d'être en quelque sorte Ming ; d'autre part j'ai nommé cette forme dialoguée, de répliques très brèves qui se répondent du tac au tac : "langue Ping-pong", et donc c'est en quelque sorte comme si les spectateurs étaient devant un match et regardaient une fois à gauche, une fois à droite. "

Emmanuel Darley