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Par delà les marronniers

mise en scène Jean-Michel Ribes

: Trois résistants à la barbarie

Ce spectacle veut saluer à travers l’évocation de Jacques Vaché, Arthur Cravan et Jacques Rigaut – trois dadaïstes dandys des années vingt – l’insolence d’être, la liberté de la différence, celle de penser ailleurs et de fuir en riant les horizons de papier et les équations définitives.


Guidé par L’Anthologie de l’humour noir d’André Breton, je les ai rencontrés dans la fraîcheur du mois de mai 68 quand enfin il n’y avait plus rien à comprendre et tout à inventer.


Hommage joyeux à ces moqueurs de génie dont les textes et la vie nous libèrent de l’acharnement du bon sens et de la tyrannie des certitudes. Frères des dessinateurs assassinés de Charlie Hebdo, tombés le rire de résistance au poing, ce ne sont pas des kalachnikovs qui les ont tués mais une société étouffée par l’ordre moral et les raisonnements à sens unique. S’il fallait désigner ceux qui furent les phares entre 1915 et 1925, il faudrait les citer avant beaucoup d’autres.


Le premier, Jacques Vaché, né à Nantes en 1895, est interprète entre les armées françaises et anglaises pendant la Première Guerre mondiale. Dandy dévastateur, dada avant Dada, il invente l’umour sans h, ami du rare et de l’énorme, il est passé maître dans l’art d’attacher très peu d’importance à toute chose. Adossé à la tranchée des cadavres, il écrit depuis des étables à tanks quinze lettres à un interne en neurologie nommé André Breton, qui après les avoir lues devient l’inventeur du Surréalisme. « Jacques Vaché est surréaliste en moi », écrira-t-il. Quelques années après la mort de Vaché, il avouera à sa sœur : « Votre frère est au monde l’homme que j’ai le plus aimé et sans doute qui a exercé la plus grande et la plus définitive influence sur moi... Sans lui, j’aurais peut-être été poète ; il a déjoué en moi ce complot de forces obscures qui mènent à se croire quelque chose d’aussi absurde qu’une vocation. »


Jacques Vaché portait le monocle à l’œil gauche. Le 6 janvier 1919, il est mort à l’hôtel de France à Nantes d’une surdose d’opium.


Le deuxième, Arthur Cravan, de son vrai nom Fabian Lloyd, né en 1887, mesure deux mètres. Voyou et dandy, c’est un géant de cent cinq kilos avec une gueule céleste. Poète et boxeur, il ne combat que les gants bourrés des cheveux de ses maîtresses. « En haine des librairies étouffantes où tout se confond et, à l’état neuf, déjà tombe en poussière, Cravan, écrit Breton, pousse devant lui le stock des exemplaires de Maintenant (petite revue littéraire qu’il écrit et édite seul) dans une voiture des quatre saisons », une des publications les plus subversives et maudites que nous ait légué sa génération, où il est impossible de ne pas y découvrir les signes avant-coureur de Dada. Fuyant la guerre, il défie à Barcelone le champion du monde de boxe Jack Johnson, il tient six rounds de trois minutes avant d’être mis K.-O, arguant qu’il valait la peine de se laisser défigurer pour 50 000 francs avec lesquels il paye sa traversée de l’Atlantique, rejoignant New York où il donne au Salon des Indépendants une conférence sur sa détestation de l’art. Il termine ivre mort et nu sur scène.


« Non content durant la guerre d’avoir réussi à être le déserteur de plusieurs pays, Cravan s’efforce encore d’attirer sur sa personne l’attention et les désapprobations les plus tumultueuses », écrit Breton. Il arrache à Marcel Duchamp la poétesse Mina Loy qu’il épouse puis part tenter sa chance en Amérique du Sud, boxant de-ci de-là, écrivant entre deux K.-O des lettres d’enfant triste à celle qu’il aimait, puis un beau soir de 1918 emprunte une barque et disparaît dans le Golfe du Mexique. On ne le reverra plus. « Cravan ne cherchait pas du tout à étonner, écrit Alain Jouffroy. Il cherchait à s’étonner lui-même et ça, c’est beaucoup plus difficile. »


Le troisième, Jacques Rigaut, né en 1898, pense que tout dans la vie mérite d’être accéléré, il est la proie de la rapidité. Il se targue d’être le raté-étalon, secrétaire du peintre Jacques-Émile Blanche, avoue parfois une absence d’espoir complète et un goût pour le néant seulement tempéré par une fascination pour le luxe, « chaque Rolls Royce que je rencontre prolonge ma vie d’une quart d’heure », avoue-t-il. Il déteste ceux qui ne parviennent pas à le séduire, s’ennuie avec passion et se désire sérieux comme le plaisir. La fascination que ressentaient les Dadaïstes à son contact provenait surtout de la désinvolture avec laquelle il abordait le problème du suicide, considéré disait-il comme « l’un des Beaux-Arts, forme suprême de mépris à l’égard de la vie ».


Lui qui avait sa mort dans la poche depuis l’âge de raison, le 6 novembre 1929, après une longue toilette, se tira une balle dans le cœur. Poète dont la vie désinvolte et sans aucune ambition fut son œuvre, Pierre Drieu la Rochelle s’en empare pour en faire le héros de son meilleur roman Le Feu follet, « j’ai vécu de toi, je me suis repu de toi, je n’ai pas fini mon repas ». « Avec lui, écrira André Breton, il était toujours question de monter dans une Rolls Royce, mais qu’on ne s’y trompe pas, en marche arrière. » Jacques Rigaut collectionnait les boîtes d’allumettes et les accessoires de bar.



Je suis heureux que Michel Fau, Maxime d’Aboville, Hervé Lassïnce, Sophie Lenoir, Stéphane Roger, Aurore Ugolin et Alexie Ribes nous aient rejoints pour ressusciter ces Scandaleux rafraîchissants.



Jean-Michel Ribes

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