theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Oreilles tombantes, groin presque cylindrique »

Oreilles tombantes, groin presque cylindrique

+ d'infos sur le texte de Marcelo Bertuccio traduit par Armando Llamas
mise en scène Michel Didym

: Présentation

Sans didascalie ni indice dramaturgique particulier, Marcello Bertuccio tisse plusieurs niveaux de lectures tout aussi énigmatiques les uns que les autres autour d’un seul personnage. Oreille tombantes, groin presque cylindrique, se joue de l’hystérie et explore, non sans humour, les bornes de la folie.


Une femme, seule, dans sa cuisine, que l’on imagine moderne, coupe en rondelles hyper fines, épluche, réduit en purée, réduit en bouillon, cuit des huîtres à petit feu dans leur propre jus… Elle-même confite dans son propre jus, elle dessine au gré de ses palabres emberlificotées un univers clos, gonflé de sa propre hystérie, coupé du monde extérieur, névrotique, obsessionnel d’où la seule échappatoire est la folie. Elle n’y échappe pas, et elle est gratinée cette folie-là.
« On ne jette pas du cochon aux cochons » s’exclame t’elle alors que, et c’est là une belle invention de ce texte, tout son discours baigne dans une sémantique porcine. Elle vit dans un monde de cochons dont elle est la maîtresse, ayant droit de vie et de mort, organisant sa vie autour de sa porcherie, ne sachant même plus lesquels sont morts ou vivants. Un fusil glissant dans ses mains moites, planquée derrière le saule qui masque la fenêtre de sa cuisine derrière laquelle elle-même se dissimule, la bouchère "porcinnophile" défend sa batterie animale bec et ongle.
Dans les légendes grecques, Circée la magicienne avait coutume de métamorphoser en porcs les hommes qui l’importunaient de leur amour. Peut-on imaginer,ici, que Chérubin, bisounours, rosita, pythie de Delphes, merlin, petite queue, tête de noeud, loti, gueulard, ignace, willy, poil de cul, petite taupe, van gogh, favorite du ciel ou petit papi de dieu …Sont d’anciens prétendants éconduits par la belle ? En tout cas, nous sommes en Argentine, pays machiste s’il en est, dont La figure politique mythique est une femme, Éva Perron, son nom d’ailleurs ne manque pas au texte. Autocrate et isolationniste, la marâtre aux mille cochons, incandescente de son pouvoir sur les animaux à la queue en tire bouchon, se coupe du monde, refuse de répondre à ses copines, et lance d’un ton vengeur : « Il faut être capable de discerner quand on suit les règles et quand on ne les suit pas, voilà la clef de la connaissance. »
Entre réel et imaginaire Marcello Bertuccio, peint un monde cerné par la violence extérieure où l’on a renoncé aux contacts humains et où l’on mange. Terrible vision du réel, vision objective, vision juste car structurée grâce aux ressources de l'imaginaire. Ainsi le cochon, symbole presque universel de la goinfrerie et de la voracité. À la fois gouffre et allégorie de l’ignorance, de la luxure et de l’égoïsme, le cochon, ainsi le dit Héraclite (auquel ne manque pas de faire allusion Bertuccio) : « prend son plaisir dans la fange et le fumier. »
Ce qu’il y a de plus terrifiant dans Oreille tombante, groin presque cylindrique, c’est l’absence de début et de fin. Comme si, ce texte, n’était qu’une parcelle d’une vaste tragédie en train de s’écrire. Le texte ne se termine t’il pas par « reste tranquille saloperie puisque ça a déjà eu lieu »…Ainsi soit-il ! Heureusement pour nous, et c’est un signe d’espoir, tout est bon dans le cochon.


Hervé Pons




Un texte énigmatique et d’une subtile habileté ; quand on croit avoir saisi le début d’un fil d’Ariane qui va rendre explicites les enjeux dramatiques donc les borner, les limiter – on s’aperçoit très vite qu’on suivait une fausse piste. Tout ce qu’on peut dire c’est qu’il s’agit et d’une femme seule dans un lieu isolé, et de cochons, morts ou vivants. La femme est dans un état fort avancé d’hystérie. Qu’y a-t-il de réel ou d’imaginaire dans ce qui est évoqué par la parole – la pièce ne comporte nulle didascalie – est malaisé à décider. Et néanmoins ce texte n’est ni abstrait ni abscons, et c’est bien là sa qualité essentielle. La parole tisse un réseau incantatoire proche du « flow » du rap, convoque une foule de situations dramatiques, un système complexe d’objets et un ensemble d’images.


Ces quatre sous-textes ou sous-narrations sont très concrets mais sans connexion apparente. Ils finissent néanmoins par créer une forme cohérente,attrayante, colorée, complexe, mais qui se dérobe à l’analyse et c’est tant mieux. Additionnez télévision, recettes de cuisine, huîtres cuites dans leur jus, bouillon de porc, rôdeurs nocturnes, un saule envahi par des pipistrelles, dracula, anaximandre, héraclite, un fusil qui glisse des mains, des cochons morts, vivants ou surgelés, des appels téléphoniques, des coups de sonnette intempestifs, un mixer, une mère morte, et ainsi de suite, et vous aurez une petite idée de ce qui est en cours dans ce lieu qui pourrait bien être un enfer, c’est-à-dire ici et maintenant. Car dans ce lieu on a peur de l’inconnu, on est armé, on tire sur tout ce qui bouge, on croit être cerné par la violence extérieure, on a renoncé aux contacts humains et on mange. Terrible vision du réel, vision objective, vision juste car structurée grâce aux ressources de l’imaginaire.


Armando Llamas

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.