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Oasis love

mise en scène Sonia Chiambretto

: Entretien avec Sonia Chiambretto

Propos recueillis par Agathe Le Taillandier

Oasis Love est très imprégné des expériences de terrain que vous menez dans certains quartiers populaires.


Sonia Chiambretto : J’ai habité moi-même dans ces quartiers populaires. Il est important pour moi de souligner que ces quartiers ne me sont en rien étrangers. Je suis toujours effarée de constater à quel point on regarde ces quartiers comme s’ils étaient « en dehors ». Pour moi, c’est très clairement l’inverse, ces quartiers sont au centre de tout et font preuve d’une créativité folle, s’y inventent par exemple des solidarités intergénérationnelles, les nouveaux contours d’un « vivre ensemble », à rebours des représentations qui imprègnent les imaginaires en France. Depuis qu’il y a TikTok, Instagram, etc., on a la preuve qu’il se produit des choses importantes dans ces endroits. Les jeunes gens qui y vivent sont hilarants, créatifs, on a presque du mal à suivre leur rythme. Quasiment des avant-gardes, souvent imitées, avec retard, et dont l’art, la mode ou la publicité s’approprient les codes. Je ne veux pas effacer pour autant les difficultés que peuvent traverser aussi ces quartiers, elles existent et sont souvent liées à une sorte d’abandon.
Depuis un an, je conduis des ateliers autour de la construction de la figure du « policier idéal » avec des enfants et adolescents des quartiers de la ville de Nanterre et de Marseille où j’habite. C’est très important pour moi de donner la parole aux plus jeunes d’entre-nous. Avant-hier, à la question « À quoi ressemblerait pour vous le policier idéal ? », un jeune garçon m’a répondu : « une policière ». Je ne l’aurais pas inventé.


Comment est né ce projet théâtral et hybride, Oasis Love ?


Sonia Chiambretto : Tout a commencé par un poème. J’étais en résidence en Seine-Saint-Denis dans un foyer d’adolescentes, c’était le printemps, on se promenait entre les barres d’immeubles avec Bintou et deux de ses amies du collège.
On est rentrées dans une épicerie pour acheter des canettes d’Oasis Tropical et en sortant on est tombées sur l’interpellation brutale de plusieurs jeunes du quartier. On s’est rapprochées, les filles ont reconnu le cousin de l’une d’entre-elles. Le soir, Bintou m’a raconté l’arrestation, quelques mois plus tôt, de son grand frère. Au petit-matin, dans l’appartement familial, la police débarque et met tout le monde à genoux.
Oasis Love n’est jamais que la poursuite de cette exploration que je mène collectivement avec les outils qui sont les miens : la poésie et le théâtre. Ce premier poème raconte ça, il a pour titre « Juste, pas juste », c’est devenu le moteur poétique d’une réflexion sur l’ambiguïté de notre rapport à l’autorité, une réflexion qui ne me quitte jamais. C’est aussi pour moi une manière de renouer avec ma propre histoire familiale, traumatisée à répétition, au fil de l’histoire, par les agissements de la police française.
En parallèle, j’ai eu un véritable coup de foudre pour le film de Spike Lee, Do the right thing. Il montre comment, dans un quartier au bord de l’explosion, l’arrivée de la police peut agir comme une étincelle mettant de manière définitive le feu aux poudres. J’essaie de ne jamais être dans un positionnement à charge, ce qui m’intéresse, c’est d’analyser les mécanismes systémiques qui conduisent trop souvent les forces de l’ordre à osciller entre le « juste » et le « pas juste ».


Un fil rouge traverse par ailleurs toute la pièce, c’est celui de la course-poursuite.


Sonia Chiambretto : J’ai commencé par me demander pourquoi l’apparition des forces de l’ordre dans ces quartiers provoquait toujours ou presque, dans un réflexe de fuite, la course des jeunes qui y vivent, et dans le même mouvement, la course des policiers. Ces scènes quotidiennes, usantes pour tout le monde, pourraient paraître burlesque si elles ne se terminaient pas trop souvent par des drames.
Un deuxième motif se déploie dans la pièce, c’est celui de la course-poursuite amoureuse. Quand tu es adolescent, ta vie amoureuse, tu ne la vis pas chez toi mais dehors. En m’intéressant parallèlement à l’amour, je fais tout simplement le choix de parler de quelque chose dont tout le monde parle tout le temps, quelque chose qui fait tourner le monde, une chose à laquelle on ne s’attend pas, comme une oasis dans le désert : l’amour. J’ai souhaité construire une forme poétique révélant quelque chose comme l’atlas sensible d’un grand ensemble, à la périphérie d’une ville, qui se transforme peu à peu en oasis.


À quel moment le plateau s’est imposé dans ce parcours de création, long et très personnel ?


Sonia Chiambretto : Dans Oasis Love, il n’y a pas de récit unique, c’est une pièce résolument chorale. Pour moi, le travail sur la langue, le travail du rythme, celui des sonorités, du souffle, de l’inventivité formelle, priment sur la narration. J’aime dire que j’écris des « langues françaises étrangères ». Les faire entendre au théâtre, c’est peut-être tout simplement pour moi une manière de dire qu’elles comptent.
L’humour traverse aussi la pièce, un humour décapant qu’on retrouve souvent décuplé sur les réseaux sociaux : j’écris beau- coup à partir de cette matière. Avec les interprètes, nous cherchons à retrouver sur le plateau la sensation de cette écriture vive, rapide, physique.
Comment on occupe l’espace ? Qui a le droit de le faire ?
Comment les corps dans un espace restreint, contraint, celui du plateau, peuvent-ils ouvrir de possibles brèches ? Je ramène aussi sur le plateau un répertoire de gestes recueillis depuis des années. Travailler sur la course-poursuite policière, c’est aussi travailler sur la question de la vitesse, de l’exaltation, de l’épuisement — de ce que tout cela produit sur les corps.
Les six comédiens et comédiennes sur scène ont tous une histoire avec les violences policières. Ils ont tous une histoire avec l’amour. Ils dépassent le seul statut de témoin d’une histoire collective. Ils l’incarnent et en deviennent des acteurs à part entière.


  • Propos recueillis par Agathe Le Taillandier
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