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: Mot de l'auteure - metteure en scène

par Sarah Berthiaume

À la base, Nyotaimori[1] est une courte pièce que j’ai écrite il y a quelques années pour une soirée de lectures au Festival Zone Homa. Sarianne Cormier, qui orchestrait l’évènement, nous avait proposé de nous inspirer d’une usine montréalaise pour l’écriture. J’avais choisi les Tricots Main Inc., une fabrique de sous-vêtements située au 6666 St-Urbain, à la frontière du Mile-Ex, ancien quartier ouvrier que j’habitais à l’époque1.


Je me suis appliquée à fantasmer ce qui pourrait arriver dans le ventre vide de cette usine, vestige d’une industrie textile jadis florissante. Cette industrie qui, du jour au lendemain, a disparu de notre horizon montréalais pour aller se réimplanter ailleurs, dans les métropoles de l’Inde ou du Bangladesh, afin d’avaler des nouvelles générations d’ouvrières en manque de sommeil et de droits fondamentaux.


Pour l’anecdote : j’avais écrit cette courte pièce à la toute dernière minute parce que, dans ce temps-là, j’avais encore beaucoup de mal à dire non. J’accumulais les contrats, les commandes d’écriture pour le théâtre, la télé, alouette. J’étais complètement ensevelie par les tâches à accomplir. J’avais des textes à rendre tout le temps, j’apportais mon ordinateur en vacances, je travaillais jusqu’à tard le soir. Je n’avais plus ni loisirs, ni espace mental. Tout était travail, partout, tout le temps.


En passant chaque jour devant cette usine et en cherchant à m’en inspirer, j’ai donc développé un fantasme absolument stupide et indécent : celui d’y travailler. J’étais complètement obsédée par l’idée d’un travail simple, répétitif, aliénant. Un travail circonscrit dans le temps, que je pourrais quitter le soir sans y penser. Un travail d’ouvrière qui punch in et out. J’étais comme l’Irina des Trois sœurs de Tchékhov, qui en vient à envier « l’ouvrier qui se lève à l’aube et va casser des cailloux sur la route. »


C’est de cet inavouable fantasme qu’est née la première mouture de Nyotaimori : une petite fable étrange où se rencontrent, dans le sous-sol d’une usine-condo, une trentenaire québécoise et ceux qui ont fabriqué sa voiture et son soutien-gorge. Une petite fable sur les liens de domination que le système économique nous fait entretenir malgré nous. Une petite fable où une fille finit par trouver une certaine plénitude dans le fait de devenir une table à sushis.


Le spectacle que nous présentons cette année est donc la version longue de cette petite fable, transformée en triptyque. Avec la complicité de Sébastien et de la Bataille, j’ai continué à explorer le thème du travail pour voir comment il s’inscrit dans nos corps, comment il nous habite et ultimement, nous définit.

Notes

[1] Note pour les curieux : l’édifice existe toujours, mais il a évidemment été transformé en condos.

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