: Note d’intention
«Je pense un spectacle-auberge.
Un spectacle qui se construit parce que les acteurs mangent au milieu des spectateurs.
Je vois des tables, dix-douze, une vingtaine de convives par tablée.
Des charriots de cantine sont couverts de pichets d’eau, de pichets de vins.
Des nappes blanches, grises, couvrent les tables.
Avant de s’installer, chaque spectateur (200) a reçu une blouse grise. Il est invité à se poudrer de blanc
rapidement. Après ce bref maquillage, chacun reçoit un numéro qui correspond à une place. Evidemment, les
couples, amis, enfants, sont séparés.
Tous attentent le repas prévu dans ce repas-spectacle.
Par un mécanisme automatique, les
tables s’ouvrent et des assiettes-repas
apparaissent.
Assiettes, couverts, verres, tout est sous
cellophane.
Une ou peut-être deux serveuses passent
et offrent un verre de vin, rouge.
Les spectateurs déballent leurs assiettes,
mangent. S’ils parlent trop fort, les
serveuses les invitent à baisser la voix.
S’ils ne mangent pas, les même serveuses
les invitent à souper.
J’emploie à dessein le mot souper, car ce
spectacle ne peut se jouer que le soir.
Eclairage blafard. Au fond de cette
auberge, une vieille violoncelliste cul-de-jatte
joue dans son charriot. Les suites de
Bach en Sol majeur sont correctement
interprétées.
Un spectateur attentif peut, doit
remarquer quelque chose d’étrange chez
cette musicienne sans jambes. Elle est
comme mécanique.
Il neige un peu dans la salle. La salle a la taille de notre chapiteau sans gradins ou d’un beau plateau de théâtre. Si les murs sont simples, noirs, gris, vieux, c’est parfait.
Puis arrive K.
K. est noir, interprété par Alphonse Atacolodjou.
Il est arrivé vêtu d’un manteau. Une serveuse lui tend la
dernière blouse grise suspendue. La serveuse le poudre
un peu, mais cela ne tient pratiquement pas. (...)
(...)
Il a le livre Le Château de Kafka à la main.
Aucun autre accessoire.
Peu à peu, les tables vont devenir décor de cette cité
imaginaire que K. raconte lui-même.
K. va lui-même bâtir une ville verticale faite de tables.
Les spectateurs sont peu à peu repoussés à la périphérie
du plateau.
Cette tour de tables est peu à peu habitée par les
personnages emblématiques du roman :
L’instituteur.
Le maire.
L’amante.
L’ami Barnabé.
Le bureaucrate Klamm.
Les villageois.
C’est la dimension comique et dérisoire de notre monde dont il est question pour chacun de ces tableaux. Comme
autant de vignettes pour raconter notre société contemporaine.
Je propose à Paul Emond d’adapter le roman non pour en restituer l’intégralité mais pour tenter d’en restituer
l’incroyable clairvoyance. Je lui explique que la mise en scène se fera à vue. C’est-à-dire que K. va se mettre en
scène lui-même, il va adapter sa propre fin, sa propre impuissance, il est acteur d’un monde qui le rejette et
dont il est incapable de s’extraire.
La scénographie faite des tables du repas a pour moi une forte fonction symbolique. K doit grimper pour tenter de
comprendre qui de nous l’a invité à un repas-spectacle dont il est exclu avant même d’y gouter. Il joue le fait qu’on
n’ait plus besoin de lui pour rien.
K. va construire sa propre perte, il va construire sa propre exclusion.
Seules les femmes l’aident, l’aiment, l’accompagnent.
Parler encore et toujours de cette formidable force que représente le désir érotique de l’altérité.»
Bruno Thircuir
mars 2011
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