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Nous revivrons

mise en scène Nathalie Béasse

: Entretien avec Nathalie Béasse

Propos recueillis par Laure Dautzenberg

Laure Dautzenberg : Comment est né ce spectacle ?


Nathalie Béasse : C’est une commande du TNS et du Centre dramatique national de Colmar.
La proposition consistait à créer un spectacle itinérant dans les villages alsaciens dans le cadre du dispositif « Par les villages » du Centre dramatique de Colmar avec trois ou quatre jeunes comédien.ne.s issus de la formation Ier Acte, initiée par le TNS, qui promeut la diversité sur les plateaux. J’ai auditionné et choisi trois interprètes et j’ai décidé de travailler sur L’Homme des bois de Tchekhov, qui est une œuvre de jeunesse, une esquisse d’Oncle Vania. C’est donc une aventure de rencontres autour d’un texte, d’un auteur, avec la contrainte de travailler dans des lieux atypiques, avec une nouvelle équipe qui ne connaissait pas mon travail, pas plus que je ne connaissais le leur. Il a donc fallu trouver les mots justes. Cela re-questionne le rapport au plateau, à la mise en scène, à la direction d’acteurs, à tous ces mots que l’on n’utilise plus, parce qu’on est habitué à être avec sa famille où les choses se passent presque sans parole. Mais ils ont compris assez rapidement vers où je voulais les amener et la disponibilité que je demandais. Et je trouve toujours intéressant de travailler avec de nouvelles personnes, même si je tiens beaucoup à l’idée de troupe.


L. D. : Pourquoi avoir choisi L’Homme des bois de Tchekhov comme point de départ ?


N. B. : Il y a des textes qui me suivent depuis longtemps. J’ai découvert celui-ci lors de la création de Wonderful World, en 2011, et je l’avais mis de côté... On a ainsi des auteurs, des histoires, qu’on trimballe avec soi. À chaque fois qu’on fait une création, on se dit cette fois-ci j’ai envie d’aller te voir, toi ! Ce texte parle beaucoup d’écologie, de la destruction de la forêt, mais je ne voulais pas appuyer particulièrement sur ces questions car Tchekhov aborde beaucoup d’autres thèmes qui me touchent : la famille, la solitude, les non-dits, l’être humain, son rapport à l’autre, à la nature... Par ailleurs, j’avais trois-quatre semaines de création, alors que d’habitude j’ai plutôt dix semaines, et c’était important pour moi d’avoir un socle « narratif ». Je voulais avoir un seul auteur, pas des fragments, un bloc déjà là, et puis entendre Tchekhov dit par ces jeunes comédiens. On a beaucoup travaillé sur tout le texte, et au fur et à mesure on effaçait, et des choses surgissaient après l’effacement. J’aime l’idée de chercher ce qui subsiste une fois qu’on a fermé un livre. Que nous reste-t-il comme images, par où est-on passé ?
Quand on n’a plus les mots devant soi, quelle image vibre dans notre cœur ? On est sur une sorte de mémoire du texte, ce qui ressort de ma lecture de L’Homme des bois, quels fragments je garde et ce que j’en fais. Quand on efface presque tout, qu’est-ce qu’on a envie de dire sur tout cela : comment il faut sauver cette nature, sauver les relations, et être dans une écoute globale de notre monde...


L. D. : La narration est très trouée, il ne reste que des bribes du texte. Comment avez-vous construit votre spectacle ?


N. B. : Le projet était d’avoir une forme courte et itinérante. C’est une traversée du texte où Julie Grelet joue tous les personnages de femmes, et les deux acteurs s’échangent les rôles masculins : il n’y a pas une figure unique de L’Homme des bois, il est joué par l’un et l’autre, comme dans Roses que j’avais adapté de Richard III de Shakespeare. Ce qui m’intéresse est ce qu’il y a entre les mots, qu’est-ce qu’il se raconte, et ici comment j’essaie d’imager, dessiner, esquisser l’intérieur de L’Homme des bois, la maison de Tchekhov... C’est comme si je tissais des fils sur le plateau et qu’à chaque scène j’enlevais ces fils et j’en retissais d’autres pour créer des intérieurs différents. Ce sont presque des spectacles- installations, proches des arts plastiques. On construit quelque chose, un texte passe par là, on déconstruit et on reconstruit autre chose, une autre sculpture et un texte passe à nouveau par là. Les interprètes sont les passeurs de ce texte ; ça leur passe dans le corps comme des fantômes qui viendraient dire ces mots-là avant de repartir.
Il n’y a pas de sacralisation du texte, on est dans un rapport sensoriel, physique, pictural plus que verbal, intellectuel ou psychologique. On est sur l’idée de fresque, d’une vision globale de l’histoire, même si celle-ci comporte beaucoup d’histoires différentes. À chaque fois, je disais aux comédien. ne.s que ce n’était pas seulement l’histoire de Tchekhov, que cela pouvait être leur histoire à eux, notre histoire à nous. J’ai ainsi enlevé tout le rapport à l’âge, à la vieillesse, aux personnages, aux prénoms, aux noms de villes... Je voulais que cela soit atemporel et qu’on puisse le situer partout.
On est ici et maintenant, simplement là, à entendre un mot, une musique, voir un corps qui tombe et comment cela résonne en nous. Et chacun peut construire son spectacle, ouvrir des portes, créer une sorte de lâcher prise en soi et se raconter une ou des histoires.


L. D. : Pourquoi ce titre plutôt que L’Homme des bois ?


N. B. : Le titre était là je crois avant le texte !
Une fois de plus, c’est un titre qui vient de mon livre de poésie fétiche, qui est une anthologie des Indiens d’Amérique du Nord. (Partition rouge, traduit et présenté par Florence Delay et Jacques Roubaud, éditions du Seuil.)
C’était un titre qui me parlait, surtout que le spectacle a été créé juste après le confinement, après cette période de mesures d’enfermement... Pour moi, c’était important de parler de cela, et de « revivre ».


L. D. : Est-ce que l’environnement dans lequel vous avez fait cette création, cette fois l’Alsace et ses forêts, a eu une influence sur votre création ?


N. B. : Oui, cela a nourri le travail. On a notamment travaillé dix jours en résidence au domaine du Beubois, dans les Vosges, dans un endroit où ils accueillent une vingtaine de personnes handicapées mentales qui fabriquent du pain, coupent du bois, entretiennent la forêt, travaillent dans un restaurant. Ils nous regardaient par la fenêtre, ils sont venus sur des temps de répétition, il y a eu une vraie rencontre avec ces personnes très en lien avec la nature et dans un rapport un peu brut aux éléments, à elles-mêmes, aux autres. Le temps de la résidence, on s’est aussi beaucoup baladé dans les environs, on a été couper des branches d’arbres, on ponçait la table dehors dans le froid...
Être baignés dans cet univers-là, dans ce paysage où les forêts sont très présentes, alors qu’on allait vers l’hiver, cela a forcément compté. Il est certain que les matières de costumes, par exemple, sont en lien avec ce qui m’entoure. Je suis très poreuse à mon environnement. Mais nous étions vraiment autour du texte et de cette forme itinérante qui nécessitait une scénographie et un dispositif technique réduits : quatre tapis, trois projecteurs, deux ventilateurs, et on y va !


L. D. : On retrouve vos figures de prédilection : les courses, les chutes, les batailles, l’importance de la présence des éléments... Avez-vous eu le sentiment de les visiter encore autrement ?


N. B. : On pourrait dire que ce sont des leitmotivs, des motifs qui reviennent, qui font partie de mon travail. La course, les chutes, le rapport à la terre, c’est ma matière. C’est comme une terre glaise que j’ai envie de triturer, de re-transformer, et c’est toujours cette même terre glaise que j’aplatis et que je veux remettre autrement. J’ai besoin de m’amuser avec ces motifs qui m’interrogent et qui me touchent toujours. Voir quelqu’un qui tombe au sol de nombreuses fois, cela provoque en moi tellement de choses, profondes, importantes, qui ont de multiples significations ! Buster Keaton je pourrais le voir mille fois lutter contre le vent...
Après, cinq hommes qui courent, ce n’est pas la même chose qu’une femme et deux hommes qui courent, cela ne raconte pas la même histoire.
Là il y a leur âge, leurs corps différents... Ces figures, liées à ce texte-là, avec ces gens-là, c’est pour moi complètement autre chose.

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