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Nous, les héros

+ d'infos sur le texte de Jean-Luc Lagarce
mise en scène Olivier Coyette

: Du plateau à la scène

Entretien avec Olivier Coyette

Voici quelques extraits d’un entretien réalisé avec Olivier Coyette lors de la création de Nous, les héros à l’UQÀM. Cette entrevue s’est fait en deux parties, à un mois d’intervalle, afin de suivre l’évolution du spectacle.

Première partie : 19 octobre 2010

Avant de parler de la création elle-même, j’aimerais savoir, Olivier, s’il y a eu une première impression, une inspiration à l’origine de ta mise en scène ?
En fait, j’ai d’abord été impressionné par le lieu, le STAL. Je me suis dit : c’est quoi ce lieu ? C’est quoi cette salle ? Et puis les lieux de production tels qu’ils sont m’ont toujours attirés parce qu’ils ont tous leur propre originalité qui peut être utilisée.

Est-ce que ce serait l’une des raisons pour lesquelles dès les premières répétitions, tu as mis les comédiens en action dans la salle ?
Ici tout l’intérêt était d’aller sur le plateau pour voir si les comédiens étaient en maîtrise de leur instrument corporel et vocal, et s’ils étaient capables de jouer sans vraiment connaître leur personnage. Je pense que les acteurs ont mille raisons de se poser des questions qui les empêchent de jouer. Et moi ma méthode, c’est de les faire jouer sans qu’ils aient le temps de se poser des questions, de les mettre dans une situation où ils sont obligés de jouer. Pour moi, c’est important que l’acteur accepte de jouer sans comprendre. Lorsque l’acteur accepte de monter sur le plateau sans tout comprendre, sans tout maîtriser, c’est là qu’il est vraiment libre.

Le STAL permet aussi aux comédiens de s’avancer parmi les spectateurs. Dans cette perspective, on retrouve chez Lagarce et dans le travail que tu fais présentement cette volonté d’interpeller directement le public. Est-ce qu’il y a une raison précise à cela?
Moi je ne crois pas au quatrième mur. Je pense qu’il ne faut pas cacher qu’on est au théâtre, parce que le spectateur vient pour jouir de la fiction qui est devant lui. Autant il y a un plaisir de se fondre dans la salle, autant il y a un plaisir de dire je suis partie prenante de quelque chose qui se passe en direct. Cela rappelle aux spectateurs que ce qui se passe devant leurs yeux est unique au moment présent. Cela joue donc sur la perception du temps.

Cette implication du spectateur dans le spectacle fournirait-elle une piste d’interprétation quant aux « nous » du titre Nous, les héros ?
On peut le lire ça comme ça. Nous, les héros ce sont tous ces gens qui croient encore à la fiction, qui croient que ça vaut encore la peine de se raconter des histoires. Et ça, c’est effectivement un geste héroïque dans un monde où la société tend à faire exactement le contraire de ce que propose le théâtre, c’est-à-dire chacun chez soi consommant ce qu’il veut dans sa bulle. Alors que le théâtre, c’est au contraire le même plat pour tout le monde, en même temps, au même endroit. Ça pose la question de la communauté en fait. À quelle communauté appartenons-nous?

Et puis jusqu’à maintenant, où en êtes-vous rendu dans le travail sur le plateau ?
Sans le savoir, enfin presque!, nous avons intégré énormément de matière depuis septembre. Maintenant tout ça, c’est derrière nous, et on doit avancer sans tout connaître. Parce que si on me demandait mon programme des quinze semaines de travail, je ne pourrais pas le dire. Tout ce que je peux dire, c’est à la limite ce qu’on va faire au courant de cette semaine-ci, et un peu la semaine prochaine, mais pas plus. Pour moi l’élément de surprise est très important dans le processus créatif. C’est plus juste d’avoir la liberté de changer d’avis au dernier moment et de pouvoir dire : cela est juste à ce moment-ci du travail. Mais il faut sentir le groupe pour ça. Ce travail n’est pas possible s’il n’y a pas une confiance qui est établie. Après, dans ce qui va venir, je vais essayer de pousser les acteurs dans leurs retranchements. Je vais même leur faire faire des choses qu’ils n’auront jamais faites. Ils devront faire les choses dans l’instant et arriver préparés, parce que le plateau est maintenant le lieu du danger.


Deuxième partie : 12 novembre 2010

Jusqu’à présent, dans le travail d’interprétation, on dirait qu’une étrangeté est venue s’ajoutée couche par couche en sein du plateau.
Ça part d’abord de l’attitude générale selon laquelle les acteurs n’ont pas besoin de tout comprendre pour commencer à travailler. Je deviens alors libre de les regarder d’une certaine façon, c’est-à-dire que je peux me permettre certaines fantaisies, certaines libertés. Je savais que je voulais une porosité entre la fiction et la réalité, parce que c’est au niveau du décalage que ça m’intéresse de travailler. Ce que je trouve le plus intéressant par exemple, c’est de chuchoter une scène joyeuse ou d’être en larme au moment du bonheur. En fait, ce que je trouve intéressant, c’est de prendre le contre-pied de ce qui est attendu quoi.

Maintenant que le travail de mémoire est presque atteint, où en sont rendues les répétitions ?
Si on devait matérialiser la salle de répétition comme une salle de gymnastique où on fait du saut en hauteur, quelqu’un qui entrerait verrait tout de suite que la barre est placée haut. Et ça, c’est déjà une réussite en soi parce que tout le monde à conscience qu’on n’est pas en train de jouer à la pétanque, on n’est pas au niveau du sol, on n’est pas au niveau d’une facilité. Si l’on prend le langage par exemple, on est ni dans le québécois contemporain, ni dans le français international, on est dans un accent dans la langue, on est au deuxième degré de la difficulté.

Et ces difficultés que l’on retrouve autant chez Lagarce que dans ton travail, elles serviront les comédiens tu crois ?
Oui, j’espère que ça laissera des traces, après. Ça laissera des traces sur la façon d’aborder le plateau, sur ce que telle ou telle répétition leur aura inconsciemment apportée, sur la notion de difficulté de jeu. Et puis s’ils sont confrontés à d’autres metteurs en scène, ils vont se rappeler qu’ils ont fait face ici à ce qu’il y a de presque plus difficile : une exigence de langue, des personnages avec une psychologie complexe, une présence permanente sur le plateau, un lien avec le public, un quatrième mur qui est cassé… Tout ça c’est énorme.





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