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Nosferatu

d'après Dracula de Bram Stoker
mise en scène Grzegorz Jarzyna

: Entretien avec Grzegorz Jarzyna

Propos recueillis par Laure Abramovici

Quelques semaines avant les représentations de Nosferatu à l’Odéon, aura lieu la première de Miasto Snu (La Cité des Songes), dans la mise en scène de Krystian Lupa, au Théâtre de la Ville. Autrefois son étudiant, vous êtes aujourd’hui co-producteur de ce spectacle : cela, et le fait que vous soyez tous deux accueillis au Festival d’Automne à Paris, a-t-il une signification particulière pour vous ?


Grzegorz Jarzyna : Krystian est pour moi un véritable maître. Il a non seulement formé ma sensibilité théâtrale, mais m’a également fait prendre conscience que le théâtre est une voie qui nous ouvre, nous conduit à la part d’inconnu et d’innommé dans l’Homme. La possibilité de produire son spectacle est pour moi un honneur, et m’apparaît comme une manière naturelle de le remercier pour ces années de formation et d’éducation.


Quelles raisons vous ont amené à adapter et mettre en scène Nosferatu ?


Grzegorz Jarzyna : La crainte de la vieillesse et de la mort, la perte du sens du temps, le besoin constant de reconnaissance, la soif jamais étanchée d’expériences émotionnelles qui seraient susceptibles de combler un sentiment de vide intérieur… C’est l’observation de ce « réseau » contemporain des comportements narcissiques qui m’a renvoyé à ce thème du vampirisme.


Bien qu’une certaine ironie soit perceptible dans ce spectacle – notamment au travers de la musique –, il m’a semblé, en tant que spectatrice, que vous aviez adapté et mis en scène le roman de Bram Stocker comme s’il s’agissait d’un « classique » : est-ce le cas ?


Grzegorz Jarzyna : Le désir de Nosferatu de ressentir les émotions humaines, sa croyance en une relation qui serait véritable et éternelle, peuvent sembler absurdes et ridicules, puisque lui-même n’est pas humain. De plus, son attrait pour l’éphémère et la mortalité apparaît comme paradoxal, étant donné que l’immortalité est précisément le plus grand rêve de l’Homme. Il y a quelques éléments comiques dans le spectacle, mais je prends effectivement la thématique principale très au sérieux.


Le motif de l’Étrangeté traverse vos deux dernières créations, T.E.O.R.E.M.A.T. et Nosferatu : peut-on les aborder comme un diptyque ?


Grzegorz Jarzyna : C’est possible. Nosferatu, à l’instar de l’Étranger du film de Pasolini, est un personnage hypothétique qui vient de l’extérieur pour catalyser, révéler, émanciper nos véritables désirs.
Dans le cas de T.E.O.R.E.M.A.T., seul le microcosme familial est concerné, alors que Nosferatu porte sur une échelle plus large, à travers des personnages représentatifs de notre société, toujours plus avides de nouveaux besoins. Dans T.E.O.R.E.M.A.T., les protagonistes relèvent un défi difficile, celui de la quête du sens, depuis longtemps perdu, des valeurs humaines et religieuses.
Dans Nosferatu, les actions des personnages ne sont motivées que par la peur, la crainte de perdre leur statu quo social, chacun agit uniquement pour des motifs égoïstes.
Seule Mina semble percevoir dans la figure de Nosferatu un miroir dans lequel se reflète sa nature véritable.


Comment définiriez-vous la place de la « limite », de la « frontière » dans votre travail ?


Grzegorz Jarzyna : Dans le théâtre, contrairement à la vie, il nous arrive souvent de repousser les frontières afin de s’approcher de la nature d’une chose ou d’un phénomène. Cette possibilité de se tenir à la frontière nous ouvre une perspective plus large et nous permet d’éprouver plus en profondeur le phénomène qui fonde la problématique d’un spectacle.


Depuis plusieurs années, vous entretenez un « dialogue » avec le cinéma, tant au travers d’adaptations de scénari – comme pour Festen ou T.E.O.R.E.M.A.T. – que par le biais d’imports de dispositifs techniques sur scène. Comment qualifieriez-vous ce « dialogue » ?


Grzegorz Jarzyna : La narration, le montage, les changements d’action soudains et inattendus, l’utilisation de « gros plans », la notion de cadrage, sont autant d’aspects – et de bienfaits – du cinéma qui inspirent directement ma pratique théâtrale.


Nosferatu est un spectacle presque muet, l’action se déroule « au ralenti », la lumière et le son y occupent une place prépondérante : c’est une expérience synesthésique. Quelle importance accordez-vous aux perceptions sensorielles ?


Grzegorz Jarzyna : Dans ce spectacle, il m’est souvent arrivé de ralentir volontairement l’action afin de créer une atmosphère poétique, onirique, et même somnolente.
Nosferatu nous pénètre par l’intermédiaire du rêve, de l’hypnose ou du brouillard.
La lumière et le son sont pour moi fondamentaux, parce qu’ils laissent une empreinte plus profonde, comme une sorte d’imagerie subliminale, dans l'esprit du spectateur.

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