Adapter l'éducation sentimentale de Flaubert… vaste projet et drôle d’idée !
L’éducation sentimentale est un des livres-phares de ma construction personnelle depuis toujours. Au cours de mes relectures, de plus en plus fort, j’y lisais un écho troublant avec nos heures troublées et notre sentiment d’appartenir à une génération fin de siècle. Frédéric Moreau m’exaspère et me fascine, par son attentisme et son souffle passionné. Il traverse la vie, la violence d’évènements historiques fondamentaux, avec une nonchalance qui n’est pas sans me questionner, et résonner avec nos quotidiens rongés par la montée des intégrismes et les secousses des attentats depuis le 11 septembre 2001.
Avec le collectif d’acteurs de la compagnie eulalie, 10 ans après Le jour de l’italienne, nous avons décidé de nous retrouver pour – en nous appuyant sur le roman dans sa forme narrative – inventer des personnages qui seraient les arrières-arrières-petits-fils de ceux du Flaubert. Nous déplaçons la fresque dans l’actualité, nous y adjoignons nos travers et nos doutes, nos envies et nos volontés, et nous respectons le fil et l’âme Flaubertienne. Comment le réel influence-t-il nos vies ? Quelles sont-elles ces vies chaotiques et uniques, anecdotiques et profondes ? Notre défi est de respecter l’esprit de Flaubert et sa quête de vérité, d’oser aller dans l’anecdote de petites préoccupations singulières pour raconter la grande histoire en filigrane. Avec humour et précision, jouer à se moquer de nos velléités et désirs, de nos contradictions et lâchetés de jeunes adultes qui font un premier bilan de leur vie. Comme Frédéric nous cherchons ce que nous avons eu de meilleur, au travers des instants fugaces et des grandes décisions qui ont fait de nous ce que nous sommes.
Spectacle philosophique et cynique sans doute, en tout cas une réflexion sur l’état du monde et notre implication de citoyens submergés par la quotidienneté envahissante des jours… Nos éducations sentimentales sera donc une histoire, celle d’un jeune homme qui arrive à Paris plein de fougue et d’envie, et qui pendant 15 ans, traverse la vie, grandit, enrage et se résigne, veut passionnément et renonce maladroitement, vole des baisers et laisse fuir l’amour. Ce sera aussi une fresque ironique du monde contemporain, de sa violence quotidienne, de sa superficialité permanente, de sa richesse humaine, de sa tendresse intime. Les mots de Flaubert se mêlent aux nôtres dans un tourbillon joyeux.

Sophie Lecarpentier