theatre-contemporain.net artcena.fr

Neige Noire

mise en scène Christine Pouquet

: Note de mise en scène

J’ai imaginé Billie Holiday à treize ans, autodidacte du jazz, écoutant les disques de Louis Amstrong et de Bessie Smith sur le vieux gramophone d’un bouge mal famé où se prostituait sa mère. J’ai écouté la voix de Billie Holiday dont les fêlures racontent la douleur de sa vie cabossée. « Parler de la douceur, drôle de pari » me dit Billie, « ma vie est jonchée de crevasses, de tourmentes, de cicatrices, raconter l’impossible quête d’une famille idéale avec une mère prostituée et un père absent, vraiment c’est étrange ».
Mon souhait est de parler de violence, de racisme, de sexisme à des enfants…et à l’enfant caché en chacun de nous, adulte. C’est sur le chemin du conte de fée, de l’imaginaire, de l’humour et du swing que je souhaite entraîner et le spectateur. Pas question de s’attarder sur ce qui est moche, pas question de parler de viol, de drogue mais plutôt du rêve d’une gamine de treize ans qui refait le parcours d’une petite bonne femme noire, guerrière, combative, rétive qui s’appelait Billie Holiday. Née dans la misère, elle devient une grande artiste. Cet opéra jazz s’adresse, comme une « lettre d’espoir »aux jeunes et moins jeunes en souffrance…
Pour devenir une chanteuse noire dans la première partie du XXe siècle, il fallait certes affronter le racisme, mais plus encore le sexisme qui régnait dans le milieu musical du jazz. Billie parvient non seulement à imposer son style musical mais aussi à disposer de son corps comme elle l’entend. Suivre les pas de la gamine dans ceux de Billie, c’est partager sa quête amoureuse, sa quête d’un père musicien qui l’a abandonnée à la naissance, c’est voir s’accomplir et s’épanouir une fillette puis une femme qui deviendra l’artiste, la musicienne qu’elle a toujours rêvé d’être.
C’est à Cecilia Delestre, plasticienne, maquilleuse, complice scénographe de « Debout » que je confierai la conception de ce décor qui plongera les protagonistes dans un univers oscillant entre rêve et réalité. Sur un quai de gare, sous la brume, éclairé par un réverbère, un homme, le guitariste, est en costume étriqué, la petite fille en robe rouge un peu déchirée. Des flocons de neige tombent et représentent le monde féérique des songes de la fillette, le monde de « Lady Day ». La neige est une métaphore des champs de coton, à » la poudre blanche », un clin d’oeil au gardénia, la fleur blanche que Billie Holiday aimait se mettre dans les cheveux. Elle marque aussi dans l’imaginaire des enfants, la période où passe le Père Noël où tous les rêves sont permis, y compris de métamorphoser « les grincheux » en ours blanc…


A la sortie du rêve, la gamine a grandi : c’est une femme de quarante ans, vêtue d’une robe étincelante rouge de diva, avec à ses côtés l’homme en costume de soie bleue. Elle interprète la chanson emblématique de Billie, Strange Fruit. Nous sommes à l’opéra sous les lumières magiques d’un splendide lustre.
C’est ma rencontre avec Dominique Magloire, son aura de diva, sa splendide nonchalance, l’incroyable puissance de sa voix et surtout son désir ardent d’interpréter les chansons de Billie Holiday qui a impulsé ce projet.
Philippe Gouin acteur, chanteur, danseur et clown, incarnera le deuxième personnage. Un homme, une femme, elle ronde, lui filiforme, l’un blanc, l’autre noire. Si la Diva assume le versant tragique du conte, l’homme en incarne le contrepoint comique.
Strange Fruit arrive en point d’orgue à la fin de ce long chant. C’est pour elle le moment d’invoquer la mémoire de son père qui, parce qu’il était noir, s’est vu refuser les soins d’un hôpital. Par la retenue du vibrato, par la liberté du rubato, par le travail de la diction, nous tenterons avec la chanteuse, de restituer l’intense réalité qu’exige ce poème.
Notre désir de retrouver les couleurs intimistes, chaudes, et le caractère brut des interprétations de Billie Holiday nous oriente naturellement vers l’orchestration la plus simple possible : piano, basse, batterie.
Nous travaillerons à la réalisation d’une bande enregistrée avec un trio de jazzmen sensibilisés à l’univers musical de Billie Holiday. Le côté vivant et évolutif de cette musique est un atout pour libérer la créativité. Ainsi c’est dans un dans un continuel aller-retour entre le travail des acteurs-chanteurs, des musiciens et de l’arrangeur que sera finalisé l’écriture de la bande sonore. Les chansons en anglais, les plus importantes pour la dramaturgie seront dites ou chantées en français par l’homme.
Elles parlent toutes de rencontres amoureuses, d’échecs, de violence, d’amants sans foi ni loi. Ces chansons d’amour ont un pouvoir dramatique, une dimension populaire et universelle : « Les mots faim et Amour, il paraît que personne ne les prononce comme moi, c’est sans doute parce que je sais vraiment ce que c’est que d’avoir faim d’amour. »
Si cette écoute pouvait nous guérir de nos déraillements, de notre peur de l’inconnu, du « noir » si, le temps d’un swing, elle nous délivrait de nos tabous ! Mieux qu’une leçon de morale rébarbative sur le racisme et la violence, une comédie musicale qui parle des origines d’une musique actuelle : Rap, Hip-Hop qui ne connaît pas toujours ses racines.
A travers ce long chant c’est un hommage au courage et à l’obstination de toutes les femmes du blues qui dès treize ans étaient sur les routes et qui ont marqué l’histoire du jazz (Bessie Smith, Alberta Hunter, Mildred Bailey, Lily Green …)
Un hommage aux petites filles violées, aux femmes battues, celles qui n’ont pu vivre leur vie d’enfant.
Dominique Magloire ne chantera que l’amour, une blue note, celle de la vie.

Christine Pouquet

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.