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Neandertal

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mise en scène David Geselson

: Entretien avec David Geselson

Entretien réalisé par Vanessa Asse

Comment l’idée de créer la pièce qui aujourd’hui se nomme Neandertal autour de la génétique, de nos origines, vous est-elle venue ?


David Geselson : C’était au printemps 2018 et j’écoutais une émission de radio à la maison. L’émission était consacrée au chercheur suédois Svante Pääbo qui avait réussi la prouesse technique d’extraire de minuscules fragments d’ADN, encore présents, dans des os très anciens. Les scientifiques indiquaient qu’il s’agissait d’os de Néandertaliens. L’idée de pouvoir « décrypter » quelque chose dans ces infimes morceaux de cellules, vieilles de plusieurs milliers d’années, et qui avaient survécu à la mort, me paraissait complétement folle. Et assez incompréhensible. Je me suis mis alors à chercher. J’ai découvert le récit autobiographique de Svante Pääbo, Néandertal, à la recherche des génomes perdus. Dans ce livre écrit comme un roman policier, le biologiste raconte les trente-cinq ans de recherches qui l’ont mené à la découverte du génome complet de l’homme de Néandertal. Il nous explique aussi comment la comparaison de notre ADN avec le sien prouve que Sapiens et Néandertaliens se sont mélangés il y a plus de 40 000 ans.


Parallèlement, il y évoque aussi son père Sune Bergström, un homme prix Nobel de physiologie et de médecine en 1982, qui l’a abandonné à la naissance. C’est une piste qui nous permet d’imaginer comment s’est enracinée en lui l’obsession d’étudier nos origines et le désir de comprendre de quoi nous sommes faits.
J’ai dévoré ce livre en quelques jours. Puis j’ai décidé d’en faire un spectacle.


Si pour écrire Neandertal, vous vous êtes appuyé sur cette autobiographie, sur scène, il n’est pas uniquement question du paléogénéticien.


J’ai effectivement utilisé son récit comme arche narrative à ce spectacle et j’y ai pioché plusieurs anecdotes. Mais Neandertal n’est en rien une adaptation. Il s’agit plutôt d’une pièce très librement inspirée du livre. Notre fiction met en scène la vie intime et professionnelle de cinq chercheuses et chercheurs, et d’un père tentant de se réconcilier avec son fils.
Luca et Rosa, un couple de scientifiques vivant en Californie font la rencontre de Lüdo, un chercheur obsédé par la volonté de comprendre les origines de l’Homme. Ils deviennent un trio amoureux, où les questions intimes percutent leur recherche scientifique.
Puis, Adèle, une paléogénéticienne atteinte d’une maladie dégénérative de la mémoire, tombe folle amoureuse de Mila, gardienne des plus vieux os néandertaliens à Zagreb quand Jan, le père de Lüdo, tente de renouer avec le fils qu’il a abandonné à la naissance... À la manière de Svante Pääbo, j’ai choisi de créer un ensemble. Avec six interprètes, nous traversons leurs amours et leurs ruptures, leurs questions de filiations et d’espoirs déçus. Ainsi, nous nous sommes inspirés des histoires de Svante Pääbo, mais également de Craig Venter, ancien GI devenu généticien et dont le génome complet a été le premier à être séquencé, de Maja Paunović du musée d’Histoire naturelle de Zagreb qui a fourni les premiers échantillons d’os exploitables de Néandertal. De Rosalind Franklin, découvreuse de la structure de l’ADN, de Gregor Mendel, considéré comme l’un des pionniers de la génétique moderne... Nous plongeons dans leur vie privée. Nous observons comment leur intimité influe sur leurs recherches et, inversement, comment leurs découvertes impactent leur vie privée.


Vous aimez porter des biographies sur scène. Raconter l’histoire d’individus pour donner à voir la grande histoire. Mêler l’intime au politique. Nous retrouvons cela dans En Route-Kaddish où vous relatez l’histoire de votre grand-père. Doreen est inspiré de Lettre à D. d’André Gorz. C’est aussi le cas dans Neandertal.


Dans les pièces En Route-Kaddish, Doreen, Le Silence et la Peur et Neandertal, je relate effectivement la vie personnelle d’individus qui ont eu un impact notable sur l’histoire : histoire politique, histoire musicale, histoire artistique, histoire scientifique.
C’est une manière pour moi de les rendre accessibles, de les démystifier. Lors de mes recherches pour la pièce Neandertal, ce n’étaient pas tant les travaux techniques des biologistes qui me passionnaient que leur quête, le chemin qu’ils ont emprunté pour atteindre leurs objectifs.
Je trouve belle la manière dont ces scientifiques s’interrogent sur des questions apparemment naïves comme « Pourquoi sommes-nous là ? » ou « D’où venons-nous ? ». Il y a là quelque chose qui nous fonde. Le désir de connaissance participe à faire de nous ce que nous sommes : nous sommes les seuls êtres vivants à nous interroger sur nos origines. Jusqu’à présent, je choisis des moments décisifs dans la vie intime d’individus afin de raconter des moments d’une Histoire qui les dépasse, les déborde, mais dont ils sont, dans le même temps, des acteurs importants. Quand je suis tombé sur le récit de Svante Pääbo, je me suis dit : « Voilà une biographie qui s’inscrit dans quelque chose de beaucoup plus grand qu’elle, quelqu’un dont le travail remet en cause des idées dépassées sur les origines et qui nous permet de réfléchir différemment à des conflits géopolitiques, autant qu’à des enjeux écologiques. ».


Vous dites que « Les Homo sapiens que nous sommes s’inscrivent dans une longue continuité faite de croisements, de mélanges » et qu’en même temps, en tant qu’« espèce invasive » comme la nomme le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin, « nous menaçons durablement les autres espèces vivantes », voire nous créons les conditions de notre propre disparition. Il y a comme une dénonciation dans vos propos.


Non, c’est un constat et un appel à agir. Nous faisons partie des espèces d’hominidés qui ont vécu le moins longtemps sur Terre. Homo erectus a vécu beaucoup plus longtemps que nous, tout comme Néandertal. Quand Sapiens est arrivé, Néandertal a disparu.
Certes, nous sommes une espèce avec une capacité d’adaptation formidable, mais nous sommes aussi une espèce invasive capable d’inventer, par exemple, un système, le capitalisme, qui mène à la destruction de notre biotope. De ce point de vue, nous avons une responsabilité vis-à-vis de nos enfants et des enfants de nos enfants. Les Néandertaliens ont disparu, en partie parce que leur taux de fécondité a baissé de façon drastique, qu’ils ne se mélangeaient pas assez et que leur niche écologique s’est transformée de manière radicale en même temps qu’est apparu Sapiens.
En sachant cela, ce qui se passe aujourd’hui est d’autant plus frappant. Le taux de fécondité des Homo sapiens que nous sommes baisse de façon drastique, et nous détruisons nous-mêmes notre niche écologique à une rapidité inédite.


Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que Sapiens va disparaître. Mais il y a là un parallèle très troublant. Par ailleurs, les travaux de ces généticiens vont à l’encontre de toutes les théories racistes, racialistes et eugénistes. Les travaux de Svante Pääbo ont confirmé qu’il y a environ 70 000 ans, les Homo sapiens ont migré hors du continent africain. Nous sommes les descendants de ces migrants. Puis il y a eu une série de métissages entre Sapiens et Néandertal. Nous en sommes les héritiers. Toutes ces recherches contribuent à rendre illégitimes les guerres raciales, les luttes pour l’appropriation de territoires basées sur l’idée de droit du sang, ou droit du sol. Ce n’est pas le sang qui légitime, mais l’Histoire. Ces scientifiques contribuent à en écrire une qui nous relie les uns aux autres.


  • Entretien réalisé par Vanessa Asse, décembre 2022
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