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Mickey la torche


: Extraits

"Moi je viens le mardi. C'est mon seul jour. C'est mon jour de nuit. Il y a des jours comme les autres.
Mais les mardis ne ressemblent qu'aux autres mardis. Jamais à un autre jour.


(...)


Je leur ai dit que je pouvais faire les nuits tous les jours, même le dimanche, faire le temps partiel tout le temps. Je leur ai dit qu'il faut qu'on me rajoute des jours, qu'on peut pas me laisser à l'étroit sous mon bas salaire car quoi qu'on fasse, je fais le temps qui reste chez moi sous insomnie.


(...)


Je suis le type même de la situation, le bon profil du vigile au bon profit du patron.


La vigilance, je suis né au monde pour ça, une seconde nature, qui aurait dépassé la première.


Tout petit je commence un début de carrière, embauché par ma mère à 8 ans pour garder mémé tout un après-midi. Je trouvais l'affaire facile, un peu bidon, involable ma petite mémé, trop vieille, trop cassée. Et je tente le pire des diables, je l'emmène au gazon, je la pose sur un banc et je m'éloigne pas loin, à deux pas de géant, trois pas de fourmi. Face au banc j'attends tout croupi dans le buisson pour voir le genre des enleveurs. Jusqu'à la nuit j'attends et je me répète : Trop vieille, trop cassée, personne en prendra de ma petite mémé.


(...)


C'est le froid qui m'a enlevé mémé à ses chers enfants et petitsenfants et au club de tricot reconnaissant. Moi, je veux garder la coquille à la maison, la poser dans ma chambre, tenter que l'été arrive et que le chaud rapporte ce que le froid a emmené, Moi je veux que l'âme à mémé bourgeonne au printemps. Et même si l'hiver veut rien rendre, je farcirai la carcasse avec mon âme à moi.


(...)


Un pied dans la tombe, l'autre qui suit, on fait signe qu'on croit et hop enterrée dans le monde, plus de mémé, que les lunettes qui me regardent du noir du tiroir. Et le noir d'un tiroir quand il vous pince un doigt il vous le pince tout le bras jusqu'à l'os du coeur.


La vocation elle a pas glissé des rayons du soleil à travers les nuages, inondant de graisse divine mon auréole, elle a grandi dans le noir de ce tiroir, élevée dans le foyer des lunettes de mémé. Toute cette nuit qui montait, quand je tirais ce caisson, traçait ma voie.


(...)


On fait pas de quartier dans la dévotion, on va dans le sens du devoir du mardi d'avant au mardi d'après. On est qu'un bloc aggloméré à sa besogne à cent pour cent du jour et de la nuit. À rester ballant 6 jours sur 7, à sa fenêtre avec un instinct de surveillance sous-alimenté, on risque l'emprise d'une idée bizarre...


(...)


Y a six mois près, elle est venue, cette idée tordue débarquée chez moi en idée simple. Elle me tripotait la cervelle chaque fois que je passais dans ma rue.


(...)


La première, je la ramasse sur le trottoir et je la ramène à la maison, à peine en haut, je la jette sur la table, je mate les formes en transparence, je la tâte un peu sans la défaire, Il n'aura fallu qu'un doigt pour que je la perce et la déchire, qu'elle s'étale grande ouverte dans ma cuisine et dégouline sur mon lino. Tout ce qui a coulé j'ai nettoyé et j'ai gardé les bons morceaux.


(...)


La première fois, je voulais juste voir une fois dans son ordure. Crever sa petite boule bleue c'était comme entailler une lucarne dans son mur à mon seul usage, mais lucarne après lucarne tout le mur y a passé, petit sac après petit sac, c'est une baie vitrée qui s'est ouverte. Plus j'entassais, plus j'empilais et plus c'était clair, ce mur d'ordures faisait de la transparence, chaque détritus la déshabillait jusqu'à plus nu. Elle pouvait toujours continuer son cirque et sa dandine, s'échapper dans la rue qui monte, la paupière et la fesse empesées dans le mépris, je la matais par le bleu du sac, m'égayant sur ses grands airs, bien placé pour savoir que dès le 12 du mois, elle en a rouge dans la culotte.


(...)


Quand je la croise, ça me retourne, elle me vide par les pieds, me verse tout le sang dans mon visage, je suis timide comme un coquelicot. Je la croise rouge luisant à la face et j'espère qu'on me jette un seau de glace dans la figure, qu'on me défouette les joues, qu'on m'éteigne cette prise de sang. Rien à faire, je mouille aux plis, je trempe ma chemise du matin et le dos collé dans la gêne, je me plaque aux boîtes aux lettres pour la laisser passer.


Je lui offre mon sang dans ma figure comme-un bouquet de pivoines et toute mon eau pour ces fleurs et je me plaque aux boîtes aux lettres."


(...)

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