: Entretien avec Mohamed El Khatib
À l’origine du projet, une courte vidéo d’une dizaine de minutes. Sur l’écran, les élèves de l’École du TNB. Le film les trouve dans leur cuisine, leur salon, leur couloir, leur terrasse ou leur chambre à coucher. Face caméra. C’est une vidéoconférence via l’outil Zoom. Sujet de la conversation ? La sexualité de leurs parents. Un matériau que l’auteur et metteur en scène Mohamed El Khatib, artiste associé au TNB, développe pour porter à la scène un spectacle avec ces élèves.
Comment avez-vous imaginé ce projet ?
J’avais demandé aux élèves de se présenter
sous forme d’une courte autobiographie à
la manière de l’Autoportrait de l’écrivain
plasticien Édouard Levé. C’est-à-dire à coup
de phrases très courtes, du type « j’ai toujours
eu peur du noir », mais en jouant la carte de la
sincérité absolue. Une des actrices a évoqué
la sexualité de ses parents. Flottement total
dans l’assistance ! J’observais les réactions
interloquées et j’ai compris qu’il y avait là un
nœud. Sommes-nous capables d’imaginer la vie
intime de nos parents ? Difficile transmission
que celle-ci. Cet angle mort m’a bien
évidemment alerté. Nous n’imaginons pas nos
parents comme des êtres sexués. Cette pensée
suscite chez les (grands) enfants que nous
sommes un véritable blocage. Nous en avons
donc débattu avec les élèves.
De fil en aiguille, nous en sommes arrivé·es au
point de vue que nous portons sur nos parents,
de quoi héritons-nous avec amour et tendresse
et que rejetons-nous. Cette pièce (j’en cherche
encore le titre) pourrait s’intituler : Les Parents,
ou encore L’Héritage, Les Héritiers ou bien
L’Heure des parents. Le titre adopté pour
l’instant, Spectacle de fin d’année, renvoie
à cet exercice, obligatoire, des fêtes de fin
de scolarité. Lorsque les parents viennent à
l’école assister à la représentation où se produit
leur progéniture. Ce moment qui précède les
vacances et qui est l’ultime rendez-vous avant
de couper le cordon. C’est sur cette lancée
que toutes et tous se sont aventuré·es pour
tenter de retrouver leurs parents à l’âge qui
est le leur, soit entre 20 et 27 ans. Les élèves
les ont interrogés, ont récolté des versions
différentes selon que les récits venaient du père
ou de la mère, ont cherché à en savoir plus sur
leur rencontre. Puis ont écrit sur leur vie et la
relation avec leur parentèle. Voici le matériau
du spectacle.
Comment travaillez-vous ce matériau vous qui, souvent, faites figure de témoin, complice et narrateur sur le plateau ?
Je ne serai pas sur la scène. Mais, comme à mon habitude, je pars de ce travail d’enquête nourri de témoignages et d’interviews de première main sur les parents. Je vais agencer et mettre en forme les matériaux, leur donner, dans l’écriture, une unité. Il n’y a, a priori, pas de fiction qui interfère. À cette réserve près que je n’ai aucune garantie quant à la véracité des textes que me livrent les élèves. Je prends ce qui est dit pour argent comptant. Pour l’instant, tout me paraît crédible. Il se peut néanmoins que certain·es, trop gêné·es d’entrer dans l’intime, fabulent.
Le spectacle ne parlera-t-il que de la sexualité parentale ?
Non. Au-delà des récits, j’ai l’envie de travailler sur les générations. Comment s’affranchir d’un héritage qui nous est transmis pour le meilleur et le pire ? Comment vivre avec lui ? Comment le théâtre permet-il un regard sans concession sur cet héritage ? La liberté théâtrale autorise et protège l’expression. Certain·es élèves qui peuvent se montrer cru·es pendant la préparation, avant de faire volte-face en réalisant qu’elles et ils se produiront devant leurs parents. Nous devons trouver les mots justes qui conserveront aux évocations leur force initiale. Sans que leur parole s’apparente à un règlement de compte, les élèves ont à assumer, aussi, la radicalité de leur regard sur cette génération qui les a mis·es au monde. Ce regard peut être dur, ingrat, moqueur et tendre. Il aboutit toujours à une même réflexion : « Je ne supporte pas mes parents mais s’ils n’étaient plus là, que ferais-je ? »
Quelle place ce spectacle prendra-t-il dans la lignée de vos précédents spectacles ?
Je ne voulais pas travailler avec des élèves.
Je ne souhaitais pas faire un exercice de
style où chacun·e aurait son moment. Mais la
rencontre a tout changé. À partir du moment
où nous nous sommes mis·es en mouvement,
ce qui n’était qu’un atelier est devenu un enjeu
théâtral. Il fallait partir enquêter, convoquer
les parents sur scène, mêler tout le monde
sur le plateau, avec, pour texte, un matériau
documentaire de première main.
Je me suis ainsi retrouvé dans mon élément.
Et j’assume ce geste partagé avec des élèves,
encore fragiles, pas formaté·es, qui se sont
comporté·es comme des ethnologues et pas
comme des comédien·nes. Il leur faut batailler
entre le fait de parler de leurs parents (donc
être des enfants) et faire passer l’expérience
au public (donc être pleinement acteur·rices).
À quoi ressemblera le déroulé scénique ?
Nous sommes en train d’en tisser la trame. Le prologue d’une jeune femme ouvre la représentation sur le poids des parents, les attentes qu’ils placent dans leurs enfants et le long cheminement pour trouver sa propre voie. Les récits individuels et collectifs s’enchaînent. Très vite, les élèves commencent à jouer ou à imiter leurs parents. Nous allons à fond dans cette incarnation, affirmant du même coup un travail très théâtral. Faire surgir les parents, cela renvoie aussi à cette obsession enfantine : « Regardez-moi, papa et maman, lorsque je joue ». L’apparition des parents sera double : par l’incarnation d’une part, et de l’autre, par le truchement de la technique. Ils seront appelés par skype ou par téléphone, en direct.
Quel plateau pour accueillir cette dramaturgie ?
Un film sera diffusé pour faire entendre la parole concernant directement la sexualité des parents. Le plateau sera quasi vide. À l’exception d’un téléphone et d’un vidéo projecteur (le strict nécessaire), je veux une scène désencombrée de tout. Histoire de faire comprendre aux élèves qu’on peut faire advenir le théâtre avec rien. Juste quelqu’un qui parle et quelqu’un qui écoute.
- Propos recueillis par l’équipe du TNB, avril 2021
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