theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Mamu Tshi, Portrait pour Amandine »

Mamu Tshi, Portrait pour Amandine

Mamu Tshi ( Conception ) , Faustin Linyekula ( Conception )


: À la recherche du congo disparu

par Eric Vautrin, dramaturge du Théâtre Vidy-Lausanne

Depuis près de 30 ans, Faustin Linyekula perçoit son corps et sa danse comme un moyen de partir à la recherche du Congo, son pays et celui de ses ancêtres, pays des guerres sans fin et des tragédies quotidiennes. Le Congo lui apparaît comme un miroir brisé par les colonisations, passées et actuelles, et le chorégraphe en quête patiemment les morceaux éparpillés. Son corps, sa voix ou son souffle, son propre nom ou ses rencontres sont pour lui des archives vivantes et engrammées de ce pays.


Installé à Kisangani, il connaît mal le Kasaï, région centrale du Congo à 1000 km à l’est de la capitale. Le Kasaï est le territoire d’une des plus anciennes cultures d’Afrique Centrale et la région natale du Mutuashi, une musique et une danse popularisée dans les années 1960, aussi populaire que la rumba congolaise.


Un nom comme mémoire


Le krump est une danse urbaine issue du clown dancing apparue dans les ghettos de Los Angeles comme un éloge à la vie et pour exorciser la violence sociale. Basée à Lausanne, Mamu Tshi en est aujourd’hui une des figures éminentes au niveau international, c’est ce qui anime sa vie et ses choix aujourd’hui. Mais elle a grandi baignée dans la culture congolaise et en particulier Luba. Mamu Tshi est un nom donné par sa mère qui raconte son inscription dans sa culture et sa famille : tante de dizaines de neveux et nièces, elle est considérée comme une « petite mère » (Mamu mwakùnyì) ; Tshi est la contraction de Tshijanu, son deuxième prénom et celui de sa tante, dont elle est considérée comme la jumelle (Ndoyi). La langue tshiluba est la langue maternelle de ses parents, mais Mamu Tshi a appris le lingala : elle n’a pas de langue commune avec la grand-mère qu’elle va retrouver au Kasaï. Une autre tante, quasi inconnue de la danseuse jusqu’il y a peu, peut sans doute se faire l’interprète entre les deux.


En se choisissant son nom de scène, Mamu Tshi se tournait vers le Kasaï – car un nom permet de se situer, il nous identifie tout en nous liant à un vécu et une histoire et ainsi interdit le nombrilisme, dit Faustin Linyekula. « Ma danse est une tentative de me remémorer mon nom », a d’ailleurs souvent répété le chorégraphe.


Hospitalité réciproque


Faustin Linyekula guide alors Mamu Tshi dans ce pays qu’il n’a cessé d’interroger, comme un Virgile accompagnant le poète Dante dans son chemin initiatique vers la lumière. Mamu Tshi accueille Faustin Linyekula dans sa famille et sa culture, et le présente à ce lignage féminin qui essentiellement l’inscrit dans son histoire. L’un et l’autre font ainsi, à l’invitation de l’autre, un pas de plus dans leur propre quête qui les rapproche d’eux-mêmes. Cet échange d’hospitalité réciproque ouvre sur la rencontre de trois femmes d’origine congolaise, une grand-mère, une tante et une jeune femme, renvoyant, note Faustin, à l’histoire de son propre clan qu’il reconstitue avec peine ces dernières années… et qui n’est scandée que de noms masculins.


Après leur rencontre à Lausanne à l’automne 2021, Faustin Linyekula et Mamu Tshi partagent leurs danses et leur quête d’un pays défait qui les constitue l’un et l’autre. Par un voyage physique autant que symbolique et imaginaire entre tradition et modernité, entre danse et mémoires enfouies, un chorégraphe et une interprète composent ensemble un portrait dansé – ou comment un chorégraphe se redécouvre dans une interprète au parcours si différent du sien et une danseuse ouvre son art à l’histoire de son propre corps. Il pourrait être dansé dans des contextes divers, théâtraux ou non.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.