: Entretien avec Christian Schiaretti
Pourquoi monter ces deux pièces de Strindberg après le cycle sur le Siècle d’or ?
Directeur du Théâtre National Populaire, j’entretiens un rapport systématique au répertoire. C’est une
gymnastique appliquée au théâtre, aux acteurs et au public. Le répertoire suffit en soi à justifier la
succession des oeuvres. Vouloir à tout prix trouver une logique à cette succession peut conduire à des
artifices intellectuels. Pour le Siècle d’or (Don Quichotte, La Célestine et Don Juan) présenté au Théâtre
Nanterre Amandiers, il y avait une continuité d’un travail déjà présenté au TNP à propos du répertoire
espagnol : interrogations sur des formes différentes (le roman, le roman dialogué, la comedia, l’acte
sacramentel). Cela se suffisait en soi sans penser à une suite ou à un écho quelconque pour les créations
suivantes.
Pour le diptyque autour de Strindberg (Mademoiselle Julie et Créanciers), c’est la continuation d’un
travail de réflexion et de recherche entamé il y a six ans autour de ce noeud particulier dans l’oeuvre
de Strindberg que constitue l’enchaînement de Camarades, Père, Mademoiselle Julie et Créanciers. Cet
enchaînement vaut beaucoup par les sous-titres apportés aux oeuvres tragédie moderne pour Père,
tragédie naturaliste pour Mademoiselle Julie, tragi-comédie pour Créanciers. Le déplacement de la
définition de la tragédie selon les adjectifs que Strindberg lui adjoint, relève d’une quête qui est celle de
la tragédie de la contemporanéité articulée principalement sur la thématique ontologique de la relation
homme/femme. Là aussi, il s’agit d’une question de forme : chaque oeuvre se présente dans sa réalisation
scénique comme une énigme.
La tragédie naturaliste est un oxymore qui peut neutraliser la représentation de l’oeuvre par effet de
choix d’un des deux termes : soit on est tragique et on abolit l’inscription sociale de l’oeuvre, soit on est
naturaliste et on oublie la dimension sacrificielle. Le terme tragi-comédie appliqué à Créanciers suppose
de repenser le concept de tragi-comédie au sens peut-être d’ailleurs, où les Espagnols eux-mêmes
tentaient de le conceptualiser au xviiie siècle.
Pour créer Mademoiselle Julie et Créanciers après Père ?
Père avait permis d’examiner la question profonde de la forme tragique moderne par un dispositif mettant
les acteurs à la fois dans les nécessités d’un réalisme vérifiable et dans le rituel requis d’un acte
tragique. Historiquement, Père était prévu comme la deuxième oeuvre d’un triptyque exposant la vie de
Bertha, la fille de Laura et du Capitaine. Du triptyque, nous n’avons que deux pièces : Camarades et Père.
D’une certaine façon, Mademoiselle Julie répond à l’absence de la troisième oeuvre. Elle y répond parce
que Mademoiselle Julie est aussi la fille d’une mère autoritaire, comme Bertha, mais aussi parce l’oeuvre
modifie le sous-titre de tragédie moderne en tragédie naturaliste. Strindberg répond d’une certaine façon
à la critique que Zola fit de Père : les personnages se définissent plus fortement, la crédibilité de l’action
reste à tout moment vérifiable, l’aspiration tragique est quasiment classique (unité de temps : une nuit,
unité de lieu : une cuisine, unité d’action). Et l’on meurt à l’extérieur.
Ainsi Créanciers représente sans doute un raffinement de la quête d’une perfection classique française :
la symétrie de l’oeuvre par les duos alternés, la linéarité de l’action, la fidélité à l’unité du lieu et au
temps réel de la représentation. Reste l’énigme du soustitre : tragi-comédie. Que faire de cette incitation
à la relativité dans un univers où les torsions cérébrales confinent au sadisme ? C’est sans doute que
Strindberg nous alerte sur la condition comique de la caducité des désirs humains. Ses personnages, s’ils
servent une problématique ontologique essentielle, n’en restent pas moins petits : il y a du fait divers dans ces affaires, du médiocre, donc du rire. Pour Adolf, Gustav et Tekla, l’horizon est celui d’Hippolyte,
Thésée et Phèdre mais le chemin lui, reste celui initié par un professeur obscur de langues mortes. Un
peintre en errance et un écrivain de complaisance.
Pourquoi présenter Mademoiselle Julie et Créanciers en diptyque ?
Le diptyque se présente comme un écho d’un point de vue d’une conception policière des oeuvres de Strindberg : il s’agit là dans les deux cas, d’un meurtre parfait. Là aussi, l’envie de fonctionner selon la logique du répertoire, c’est-à-dire, de mettre face à face les mêmes comédiens dans des oeuvres différentes, a été prépondérante. Et puis, c’était retrouver le projet initial de Strindberg qui avait écrit ces deux oeuvres en les pensant comme un diptyque.
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