: Entretien
ENTRETIEN AVEC MARCIAL DI FONZO BO
IL Y A PRESQUE VINGT ANS QUE COPI EST DÉCÉDÉ, MAIS ON A LE SENTIMENT QU’IL EST DE NOUVEAU UN AUTEUR ESSENTIEL. COMMENT INTERPRÉTEZ-VOUS CE REGAIN D’INTÉRÊT ?
MARCIAL DI FONZO BO Je ne sais pas vraiment pourquoi, je le sais d’autant moins que j’ai commencé à travailler
sur Copi il y a presque dix ans et j’étais déjà persuadé à l’époque de l’importance de cet auteur. Peut-être est-ce
la diversité de l’oeuvre qui expliquerait cet enthousiasme ? Dessins, romans et pièces de théâtre constituent
un ensemble d’une force, d’une intelligence et sans doute d’une modernité incroyables. Le théâtre de Copi s’inscrit
toujours dans la réalité, d’une façon ou d’une autre. Cette oeuvre, je pense, sera bientôt inscrite dans les classiques,
même si elle contient quelques textes mineurs ou si une certaine forme d’humour a mal vieilli.
C’est surtout, me semble-t-il, l’esprit de liberté qui règne chez Copi qui le rend aujourd’hui si proche de nos préoccupations,
ainsi que le fait de ne pas pouvoir enfermer Copi dans une forme, car c’est l’homme du décloisonnement.
Cette double liberté – sur les thèmes abordés et sur la forme de son oeuvre – le rend sans doute très apprécié
par tous ceux qui ont envie de bouffées d’air frais….
COPI EST AUSSI LE PLUS FRANÇAIS DES AUTEURS ARGENTINS, CELUI QUI FIT DU FRANÇAIS SA « LANGUE MAÎTRESSE ».
Oui et en même temps, il n’est pas non plus prisonnier de cette langue adoptée puisqu’il réinvente le français par
de petits « amusements » linguistiques. Il ne faut pas oublier que Copi a grandi en Argentine dans les années cinquante,
dans une famille d’intellectuels qui connaissait très bien les classiques de la littérature américaine et
française. Copi a une grande admiration pour ces écrivains.
C’est encore une des ambivalences de Copi, le fait qu’il ne se prend jamais au sérieux et que son oeuvre l’est. Celle-ci
est en effet très construite, voire parfois très classique. On pourrait aussi dire que Copi réinvente toute l’histoire
du théâtre à travers une langue française admirée mais chahutée.
COPI AURAIT DONC EU PLUSIEURS FAÇONS D’ÉCRIRE DANS DES STYLES DIFFÉRENTS ?
Bien sûr… À chaque oeuvre, Copi s’amuse à se projeter dans une forme, dans un style différent. Par exemple, La
Tour de la Défense relève plutôt du genre vaudeville et l’on ne peut pas ne pas penser à Feydeau. Loretta Strong est
un monologue et l’on ne peut pas ne pas penser à La Voix humaine de Cocteau mais aussi aux « revues » argentines.
Ces revues sont des spectacles où de jeunes filles à moitié nues réalisent des numéros qui sont entrecoupés
par des humoristes et qui, rideau fermé, viennent faire des sketches critiques, parfois vulgaires, très inspirés par
l’actualité immédiate. Ces humoristes sont de véritables personnages ; c’est sans doute ce qui a inspiré Copi pour
créer le personnage de Loretta Strong, cette cosmonaute qui parle avec la Mort, qui rencontre des rats se promenant
dans l’espace et qui la fécondent. Cette oeuvre est donc très différente de La Tour de la Défense, extrêmement
et très classiquement dialoguée.
À AVIGNON VOUS PRÉSENTEZ UN « PARCOURS COPI », AVEC DEUX PIÈCES, LA TOUR DE LA DÉFENSE ET LORETTA STRONG, ET UNE PETITE FORME AVEC LORETTA STRONG, LES POULETS N’ONT PAS DE CHAISES AUTOUR DE SES DESSINS ?
À Avignon, on peut imaginer des choses qui ne peuvent se faire nulle part ailleurs. Quand les directeurs m’ont
invité, je me suis demandé quelle serait « la fête de théâtre » que je pourrais imaginer. L’idée est venue de présenter
plusieurs aspects de l’oeuvre de Copi en utilisant quelques-uns des milliers de dessins qu’il a réalisés. Ce
sont des dessins d’une simplicité étonnante, au trait d’une précision presque clinique. Derrière chaque dessin, on
retrouve d’ailleurs une sorte de théâtre épuré.
Ils ne sont pas si connus, excepté la série de La Femme assise qui fit les beaux jours du Nouvel Observateur et de
Libération pendant vingt ans, jusqu’à sa mort en 1987. En prévision de sa mort, il avait d’ailleurs produit un
ultime dessin de La Femme assise qui se déclare dorénavant La Veuve joyeuse. À partir de cette oeuvre, j’ai inventé
Les poulets n’ont pas de chaises qui réunira la femme assise et ses invités, c’est-à-dire sa fille, son double, ses
amants et des dessins dans lesquels on retrouve tout le « bestiaire » de Copi : les escargots, les putes, les transsexuels,
les homosexuels, etc…
Je travaille avec une équipe d’animation dirigée par Clément Martin qui met en image les dessins. La Femme
assise sera ainsi projetée sur des écrans et les acteurs qui diront les textes seront en interaction à l’intérieur du
dessin. Ils seront accompagnés par une musique originale de Pierre Allio. En fait, la Femme assise sera toujours
un personnage de dessin.
TOUTES LES PIÈCES VONT SE DÉROULER DANS UN LIEU UNIQUE ?
Oui, j’ai souhaité pour les dessins et pour Loretta Strong d’aller du côté du cirque. J’avais très envie d’avoir un lieu qui ressemble un tout petit peu à l’univers de Copi. Je suis allé voir Igor, qui m’a confié le réaménagement de la Volière Dromesko, lieu qu’on a appelé « Oh ! Caracol ». Cette sorte de chapiteau très convivial sera installé dans la Cour du lycée Mistral, et nous y donnerons Loretta Strong et Les Poulets n’ont pas de chaises, tandis que La Tour de la Défense sera jouée au Gymnase du même lycée, à 19h.
DANS LA TOUR DE LA DÉFENSE, VOUS TRAVAILLEZ AVEC LES ACTEURS DE VOTRE TROUPE DU THÉÂTRE LES LUCIOLES, MAIS AUSSI AVEC DES ACTEURS QUE VOUS AVEZ CHOISI DANS LE MILIEU DU CINÉMA. POURQUOI ?
J’avais très envie de travailler avec Marina Foïs parce qu’elle a un sens de l’humour absolument compatible avec
celui de Copi. C’est un humour extrêmement cru mais jamais vulgaire, toujours élégant et délicat à faire passer.
Quand je regarde des films d’humour au cinéma ou à la télévision, je trouve souvent que cela est vulgaire alors
qu’avec une actrice comme Marina, au talent et avec une exigence rare, ça fonctionne.
Pour le rôle de Daphnée, un des plus magistraux que Copi ait écrit avec Eva Perón, il fallait quelqu’un à la démesure
du rôle. Il ne faut pas oublier qu’elle joue une infanticide et il se trouve que Marina avait très envie de jouer
une criminelle au moment où je lui ai proposé le rôle. Ce fut donc très simple à mettre en place.
Il est vrai aussi que j’avais envie de travailler sur le côté cinématographique de cette pièce, ce qui apparaît dans le
dispositif scénique très réaliste. Mais je ne voulais pas d’acteurs qui se disent : « on va jouer du Copi, c’est déjanté
donc on va faire n’importe quoi. » Je voulais au contraire des acteurs qui, par leur discipline cinématographique,
soient dans le détail du raccord et qu’ils amènent d’autres outils de travail que ceux qu’on utilise généralement au
théâtre.
MAIS LA TOUR DE LA DÉFENSE N’EST PAS UNE OEUVRE CINÉMATOGRAPHIQUE ; LA CONSTRUCTION DE CETTE PIÈCE EST ÉMINEMMENT THÉÂTRALE AVEC UNE UNITE DE LIEU, UNE UNITE D’ACTION…
Certainement mais c’est aussi très cinématographique… Ce texte a été écrit pour des acteurs précis –
Bernadette Lafont et Jean-Pierre Kalfon – qui étaient aussi des acteurs de cinéma. On pourrait dire que cette
pièce, comme certains romans de Copi, est construite tel un scénario, bien qu’elle soit plus proche du vaudeville.
C’est une pièce où l’auteur défait et explose la notion de psychologie mais où il construit chronologiquement
son action. Je pense qu’on peut vraiment en faire un film ; d’ailleurs, c’est un projet en cours…
COMMENT CONCEVEZ-VOUS VOTRE TRAVAIL DE METTEUR EN SCÈNE ?
Honnêtement, je ne me considère pas comme un metteur en scène dans le sens traditionnel du terme. Mon travail de metteur en scène n’est jamais que la continuité de mon travail d’acteur. Je me suis retrouvé à la mise en scène « par défaut », parce que je voulais travailler sur des textes qu’on ne me proposait pas. Je suis devenu d’abord porteur de projets dans le cadre de notre troupe du théâtre des Lucioles.. C’est davantage en imaginant l’espace, en choisissant les acteurs que je me sens metteur en scène. Le premier jour des répétitions, j’essaye seulement de garder un oeil grand ouvert sur le travail de plateau et je fais confiance à l’équipe qui m’entoure.
VOUS NE DIRIGEZ DONC PAS LES ACTEURS ?
Non, pas vraiment, d’une part parce que pour l’équipe de La Tour de la Défense, il y a des acteurs avec lesquels je travaille depuis de nombreuses années et d’autres que j’ai choisis pour leur capacité à se gérer eux-mêmes ; d’autre part, même si j’essaye d’orienter la curiosité des acteurs, de discuter avec eux en leur conseillant des lectures, de leur proposer des chemins, je n’appellerai pas ça de la direction d’acteurs.
VOUS PARLIEZ DE VOTRE FIDÉLITE À VOTRE TROUPE DU THÉÂTRE DES LUCIOLES. QU’EST-CE QUI FAIT QUE VOTRE AVENTURE COLLECTIVE CONTINUE ENCORE ?
Cela fait dix ans maintenant qu’on a commencé et l’on est toujours surpris à l’idée que ça continue ! À l’origine, nous voulions résister à une certaine façon de produire et de penser le théâtre… Pour cela, nous avons donc voulu créer un outil qui nous permette de réaliser nos envies. Ce n’est pas une compagnie au sens classique du terme, il n’y a pas un metteur en scène avec ses acteurs. À un moment, on peut être moteur d’un projet, à un autre seulement acteur ; à chaque fois ça change. Cela crée donc une organisation de travail assez vivifiante. Nous pouvons compter sur des producteurs qui nous suivent fidèlement, et des lieux d’accueil qui nous reçoivent et qui soutiennent des projets considérés parfois comme risqués, comme Fassbinder ou Rodrigo García. Nous avons donc une liberté quasi-totale de création à la fois au sein de la troupe et de mouvement hors de la troupe.
SI L’ON REGARDE LA LISTE DES AUTEURS QUE VOTRE TROUPE A CHOISI DE MONTER DEPUIS SES DÉBUTS, ON OBSERVE UN CHOIX PRÉCIS. EST-CE QUE CE QUI VOUS RÉUNIT, C’EST CE GOUT D’UNE CERTAINE LITTÉRATURE DRAMATIQUE ?
Oui car à chaque fois, ce sont aussi des artistes et des créateurs au sens large du terme, c’est-à-dire qui ne se
sont pas arrêtés à l’écriture théâtrale. C’est peut-être ce qui nous intéresse le plus car nous nous sentons proches
d’eux dans notre démarche artistique. On a monté plusieurs textes de Pasolini, de Fassbinder, de Copi…
C’est un travail que nous assumons et qui consiste à accompagner un auteur pour que l’aventure humaine ait
lieu et se renouvelle sur plusieurs projets : trois pièces de Lars Norén, deux spectacles de García, trois textes
de Leslie Kaplan… Chaque fois, ce sont des rencontres que nous essayons de faire durer pour prolonger la rencontre
avec une écriture contemporaine.
CE QUI EST SURPRENANT, C’EST QU’ENTRE TOUS CES AUTEURS ET PLUS PARTICULIÈREMENT POUR COPI, LA MORT EST SOUVENT PRÉSENTE DANS LEURS OEUVRES. EST-CE UN HASARD ?
Je dirais que la mort est omniprésente dans le théâtre en général, et dans la vie tout court. Le théâtre est le lieu du questionnement, le lieu où les certitudes s’effondrent. C’est sûr que tout grand écrivain de théâtre se pose la question à un moment donné. Mais ils ne parlent pas que de la mort non plus, c’est un tout… Ce que j’admire, c’est la manière vivante dont ils en parlent : il y a un tel combat, un tel acharnement, une telle vitalité, il n’y a pas d’apitoiement… Quelque part, il y a une grande colère, une révolte, quelque chose d’extrêmement tonique. Après une représentation d’Eva Perón, un spectateur m’a dit que la particularité du personnage d’Eva, c’est qu’en réalité, il ne veut pas mourir. D’une manière générale, tous les personnages de Copi considèrent la mort mais seulement tant que celle-ci ne passera pas par leurs corps. Ils n’en veulent pas !
EN CE QUI CONCERNE COPI, IL Y A EU UN MOMENT OÙ IL S’EST AVÉRÉ QU’ELLE PASSERAIT FORCÉMENT…
Oui… Mais c’est extraordinaire la façon dont cette dame, la Mort, se retrouve dans toutes les pièces. À chaque fois cachée derrière un tas, derrière un pendrillon, dans un vieux costume d’opérette, au bout du fil dans Loretta Strong, le plus souvent dans un frigo. La seule pièce où l’on ne l’attendait pas, c’est Une visite inopportune. Dans toutes les pièces de Copi, la dame a sa place. On pourrait même dire que c’est une invitée privilégiée.
À LA FIN DE LA PIÈCE LORETTA STRONG, IL SEMBLERAIT QU’IL N’Y A PLUS DE PERSONNAGE. IL RESTE SEULEMENT LE COMÉDIEN.
Quand la pièce se termine, on finit par un acteur nu qui ne veut pas quitter la scène, comme tous les acteurs et
tous les hommes qui aiment plutôt la vie et qui n’ont pas envie de mourir…
Copi était aussi acteur ; il avait un grand amour des acteurs et de cette « messe » qu’est la représentation.
LA MORT APPARAÎT SOUVENT DÉGUISÉE DANS SES PIÈCES MAIS ELLE N’EST PAS LA SEULE. LE TRAVESTISSEMENT EST AUSSI UNE DES CONSTANTES DE L’OEUVRE DE COPI. QUEL RÔLE JOUE-T-IL ?
En fait, je trouve, là aussi, quelque chose de générationnel. Le travestissement dans les années soixante-dix n’est
pas tout à fait la même chose qu’aujourd’hui. On peut désormais trouver en boîte de nuit des drag-queen, mais
Copi n’a pas connu cela… Le travestissement pensé, écrit, proposé par Copi est quelque chose qui va plus loin – la
preuve étant le rôle d’Eva Perón que je joue actuellement. Le travestissement s’opère de la manière la plus classique,
celle qu’on retrouve dans le théâtre japonais, par exemple. Il y a quelque chose de profondément ancien, parfois
lié à un phénomène politique ou social comme on peut le rencontrer en Argentine aujourd’hui. En Amérique
du Sud, on peut trouver facilement des vêtements pour travestis et transsexuels, beaucoup plus qu’en Europe par
exemple. Je trouve que cela participe aussi à un phénomène social assez important dans ces sociétés nouvelles.
Les travestis sont d’une féminité assez troublante. En même temps qu’on est fasciné, on voit le tragique. Copi
est plus proche de ces notions-là car chez lui, cela va au-delà de l’amusement. Quand on lit L’Homosexuel ou la difficulté
de s’exprimer, pièce dans laquelle les personnages ont subi au minimum trois changements de sexe, on est
quand même confronté à une violence inouïe. On est aussi au coeur d’un corps absolument meurtri et violenté,
ce n’est pas très glamour ! Et pourtant c’est magnifique chez Copi, c’est ça qui est étonnant. Mais tous ces personnages
ont toujours ce penchant tragique…
N’EST-CE PAS AUSSI POUR COPI UNE FAÇON DE PARLER DE L’ACTEUR ?
Bien sûr, c’est évident. Eva Perón commence par « Où est ma robe de présidente ? ». Chez Copi, il suffit de mettre la robe de présidente pour être Eva Perón, c’est vraiment ça le « lieu » de l’acteur. Je peux entrer et sortir du personnage quand je le décide, et pour citer Copi lui-même : « comme je suis seul en scène, si je suis content je suis content, et si non, tant pis pour ma gueule ».
Propos recueillis par Jean-François Perrier
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