« L’idée de ce spectacle est née dans une voiture conduite par un metteur en scène de talent, Alexandre Doublet, qui roule un peu vite et rit beaucoup. Le paysage de campagne qui défilait, les rires d’Alexandre qui ponctuaient sa parole animée, ses cheveux très blonds qui bougeaient dans le vent se sont confondus avec un souvenir très lointain : mon premier projecteur Super 8. Un jour d’été déjà ancien, dans une maison de vacances aux volets fermés mais ajourés, la lumière intense du soleil d’après-midi filtrant par les ouvertures irisait le mur sur lequel se projetait Charlie Chaplin en personne, pendant que mes parents, mon frère et mes trois sœurs se lovaient dans leur sieste. Dans mon jeune âge, j’ai donc déduit de l’intensité de cette JOIE que tant qu’il existerait du soleil, des persiennes, des personnes chères qui font la sieste, et des gars du calibre de Charlie Chaplin, rien de très grave ne pourrait se produire.

Ce sentiment d’accord parfait avec le monde qui relie le génie et le trivial et peut se comparer à l’écoute de Mozart en faisant la vaisselle, à la lecture d’Astérix et Obélix près d’un feu de cheminée, ou encore à la voix de Georges Brassens surgissant à l’improviste, a été jusqu’à ce jour, ma quête et mon ambition artistique. »
Claire Lasne Darcueil

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Claire Lasne-Darcueil s’est juré de monter l’intégralité des pièces de Tchekhov dans l’ordre chronologique. Elle a commencé en 1995 avec Platonov, succès qui la révéla comme metteur en scène. Vinrent ensuite Ivanov (1999), La Demande en mariage (2002), L’Homme des bois (2002), La Mouette (2005–2007). Aujourd’hui elle mène de front la direction du Conservatoire national d’art dramatique et ses pérégrinations en territoire tchekhovien, cherchant pour chaque pièce la forme scénique appropriée.

"Nous ne sommes pas heureux, et le bonheur n’existe pas ; nous ne pouvons que le désirer."

Trois sœurs, expérience de cinéma-théâtre, est né d’un travail avec Martin Verdet, qui a effectué un tournage en amont du spectacle avec dix comédiens. Sur le plateau, elles sont trois, livrées à elles-mêmes, à leur passé et à leurs aspirations. Elles dialoguent avec des images en noir et blanc projetées sur grand écran : films-souvenirs de leurs parents, reflet de leur frère absent-présent, tableaux animés du passage des saisons.
Tchekhov, premier auteur à donner la place au silence dans ses didascalies, est aussi le contemporain de l’avènement du cinéma et de la psychanalyse. Cette concordance des temps a inspiré à la metteur en scène ces séquences où la nature, si présente chez Tchekhov, est à la fois cadre pictural et atmosphère au diapason des humeurs des personnages. "Les trois sœurs sont traversées par l’intuition d’appartenir à un monde qui n’a plus rien à dire", note Claire Lasne-Darcueil, ajoutant qu’elle voit dans cette œuvre "l’histoire de l’amour du travail et du travail de l’amour." Sans doute est-ce cela qui nous les rend si proches.