: Avant propos de l’auteur - metteur en scène
Je viens du cinéma. Auteure et réalisatrice d’une vingtaine de documentaires et de trois films
de fiction, dont les Migrations de Vladimir co-produit par canal Plus et ADR, avec François
Morel, Grigory Manoukov, Michel Aumont et de nombreux autres acteurs. En Mars 2009,
lancée dans la préparation d’un nouveau projet documentaire qui me tenait à coeur, j’ai
passé deux mois auprès de femmes du sud du Liban qui avaient choisi de s’engager dans le
déminage du million de mines antipersonnel larguées par les Israéliens en 2006. Pour cela,
j’ai dû au préalable franchir de nombreux obstacles. D’abord obtenir l’autorisation
d’investigation auprès des trois ONG qui emploient des femmes, puis obtenir l’autorisation
de l’armée libanaise pour avoir le droit de les accompagner sur les terrains minés, accepter
de porter en permanence un casque et un tablier blindé de protection pesant huit kilos,
rester à trente mètres des démineuses pendant qu’elles opèrent, par mesure de sécurité,
etc. Le fait d’être une cinéaste franco-libanaise parlant l’arabe, venant de France pour
s’intéresser à leur sort, les accompagnant sur le terrain dès 6h30 du matin, et passant
beaucoup de temps avec elles après leur travail, tout cela m’a permis de créer des liens
intimes avec ces femmes, ce qui n’est pas chose simple dans le sud du Liban, dominé par les
instances du Hezbollah. D’un courage et sang-froid impressionnants, ces femmes
extraordinaires, en majorité chiites, m’ont ouvert leur coeur et m’ont parlé sans tabous des
motivations qui les avaient poussées à faire un métier aussi périlleux. Pour chacune d’entre
elles, c’était le seul moyen de prendre leur destin en main, le seul métier respectable qui leur permettait de gagner autant d’argent et d’acquérir une autonomie financière. Il était
dangereux bien sûr, et elles y risquaient leur vie, mais c’était le prix à payer pour accomplir
leur rêve. Et pour toutes, ce rêve relevait du défi.
En effet, le danger que ces femmes affrontent tous les jours les a désinhibées.
Progressivement, elles ont toutes eu l’audace de s’affranchir de leur condition de femmes
chiites, normalement soumises aux règles de la famille et de la communauté. Ainsi me suisje
aperçue après deux mois passés en leur compagnie, qu’un germe d’une sorte de
« Mouvement de libération de femmes » naissait dans le lieu le plus improbable du Liban.
Incroyable histoire ! Et surtout exemplaire !
Une fois mon investigation terminée, j’ai écrit mon projet de documentaire, j’ai trouvé un producteur, il a envoyé mon dossier à toutes les chaînes de télévision françaises, et elles ont toutes aimablement répondu que cela ne correspondait pas à leur « ligne éditoriale » ! Pas d’accord, pas de financement, il me fallait donc renoncer au documentaire. Mais pour moi, après tant d’efforts, il n’était pas question d’enterrer à jamais ce projet, alors j’ai décidé d’en faire une pièce de théâtre. Il y a longtemps que je suis liée au théâtre. J’ai moi-même été comédienne avant de passer de l’autre côté de la caméra. Ma fille est comédienne depuis de nombreuses années, elle a fait partie de différentes compagnies, et j’ai toujours suivi son parcours de très près.
Après y avoir plus précisément réfléchi, je me suis aperçue qu’une pièce de théâtre me permettrait d’avoir beaucoup plus de liberté qu’un documentaire, je pouvais mettre en scène les confidences les plus intimes que ces femmes m’ont livrées, alors qu’elles se seraient sans doute censurées devant une caméra. Je me suis donc octroyée toutes les libertés ! Y compris celle de commenter les dogmes des religions, et aussi le Coran Bien évidemment, pour éviter toute récrimination, j’ai non seulement changé le nom des personnages, mais j’ai aussi brouillé les pistes qui mèneraient à l’une des trois organisations non gouvernementales qui m’avait plus librement ouvert ses portes.
Quatre des personnages que j’ai créés sont librement inspirés des femmes que j’ai rencontrées lors de mon investigation. Les personnages de Shéhérazade et Lina ont été imaginés par moi pour décoller de la réalité. Lina représente la jeunesse massacrée par la guerre, et Shéhérazade incarne la rebelle porteuse de mes convictions, mais prisonnière de sa condition.
Lorsque je me suis lancée dans l’écriture de ce projet que j’avais dès le départ l’intention de mettre en scène, je me suis interrogée sur la manière d’évoquer les séances de déminage, et j’ai opté pour une chorégraphie gestuelle, décrite assez précisément dès la première page de la continuité des scènes dialoguées.
La mise en scène
Le principal atout de la pièce « Les démineuses » est la vivacité des personnages, l’esprit
d’équipe, la solidarité, la chaleur humaine, l’humour ; tout ceci esquissé par des dialogues
passant du drôle au tragique ! Toute cette vie implique une direction d’acteur poussant à
l’authenticité, et donc à des échanges entre les personnages plutôt qu’à un discours frontal,
face au public.
Pas de décor, mais des images vidéo courant tout au long du spectacle pour suggérer
l’espace dans lequel les démineuses évoluent. Leur local est une maison percée par des
trous d’obus et dans laquelle subsiste encore un espace viable.
Costumes et accessoires étofferont l’univers ; gilet de protection contre les explosions, casques, détecteurs de mines...
Les scènes de déminages seront suggérées par une chorégraphie gestuelle, décrivant
précisément le protocole à suivre par les démineuses lorsqu’elles tombent sur une mine.
Une musique installant un climat de suspense soutiendra la tension dramatique.
Le travail de direction d’acteur commencera précisément par ce travail chorégraphique, une
manière de soumettre toute l’équipe de comédiennes à une même discipline, ce qui leur
donnera un style, exactement comme les réelles démineuses libanaises : elles ont suivi un
entraînement de plusieurs mois pour acquérir la technique et les gestes essentiels pour
déminer sans exploser. Car le moindre faux-pas... c’est la mort.
Pour les croyants, la mort renvoie au ciel ou à l’enfer.
C’est pourquoi, lorsqu’elles explorent un terrain en risquant leur vie, Les démineuses seront
toujours sur fond de ciel.
Lorsqu’elles sont à l’intérieur de leur local, un mur percé par un énorme trou d’obus donnera
aussi sur le ciel. Il sera décliné sous toutes ses formes : bleu, nuageux, sombre, et ses
déclinaisons interfèreront dans la tension dramatique. Lorsque le temps est orageux, les
démineuses sont condamnées à rester enfermées dans leur local, dans une atmosphère
électrique propice au conflit.
Enfin le ciel renvoie au temps qui passe, d’une manière chronologique, du matin au soir, ou encore, de nos jours jusqu’aux origines de l’univers. Pour la démineuse Shéhérazade, scientifique agnostique, la question n’est pas « Où vais-je ? » mais « D’où viens-je ? ». C’est pourquoi elle nous entraînera vers un voyage cosmique illustré par des images prises par le télescope du satellite Hubble.
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