theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Le Septième Kafana »

Le Septième Kafana

mise en scène Nathalie Pivain

: Présentation

ELLES IGNORENT QU’ELLES VONT ÊTRE VENDUES


De jeunes femmes croient à une vie meilleure, une vie avec un travail et un salaire après la chute du mur, après la guerre des Balkans. De l’argent pour elles, pour leurs enfants ou leur famille dans des pays exténués, ici la Moldavie, seulement sortir de la misère et croire en l’Europe occidentale. Elles ignorent qu’elles vont être vendues. Les marchands d’esclaves leur confisquent leur passeport et le cauchemar commence, dès les premières heures du voyage. Il s’agit de les anéantir afin de briser toutes velléités de rébellion en utilisant les armes les plus viles et les plus redoutables à l’endroit des femmes : viol, violences et sévices, chantage et épuisement.


Celles qui reviennent parlent. Une journaliste, figure théâtrale des auteurs, les aident à parler. La beauté des mots lâchés ou retenus, la force du rire à travers les larmes.


À L’ORIGINE UN TERRIBLE ÉTONNEMENT


Qu’il s’agisse de religion, de politique, d’économie, toujours il a fallu trouver une fonction pour la femme, lui trouver une place et non « une chambre à soi », lui assigner en quelque sorte son rôle. Pourquoi serions-nous si vulnérables ? Pourquoi cette permanence ? Un espoir est-il légitime ? Ici, les femmes apportent cette couleur inattendue, une force de vie qui est comme au-delà de soi.


Nous sommes en 2012… Qu’est-ce qui se passe avec le monde ?
Il y a eu la chute du mur, la guerre des Balkans... L’étonnement terrible qu’il y ait un trafic de femmes dans une Europe qui tente paradoxalement une parité de plus en plus grande (voir la grande conférence du 21 septembre 2011 au Parlement européen, « Femmes d’Europe & Initiative citoyenne »).
Donc, des femmes vendues se retrouvent dans notre Europe occidentale, « la riche ». Elles sont invisibles et nues, en périphérie de nos grandes villes : Paris, Oslo, Milan, Prague… Il y a des romancières qui écrivent pour elles, comme par exemple : la norvégienne Herbjørg Wassmo, Un verre de lait, s’il vous plaît ou encore Purge de l’estonienne Sofi Oksanen, également des artistes comme la photographe roumaine Dana Popa (cf rue des expositions à Paris en 2011), des réalisateurs, le britannique David Yates avec Sex Traffic, long métrage télé extraordinaire et puis des associations (Mouvement du Nid) qui essaient d’apporter un peu de chaleur humaine, une écoute, à ces femmes débarquées sur notre territoire français, qui essaient l’impossible.
Et il y a le théâtre comme lieu privilégié pour déployer la parole de nos soeurs, et leur donner des chants, des rires aussi, afin que « le théâtre passe à travers les larmes ». Il est question de prêter des corps, des voix d’actrices à ces femmes revenues et à celles encore disparues. Les hommes, les peu nombreux, qui prennent la parole dans ce texte, sont des figures emblématiques, des propositions sur la bêtise, la lâcheté. Mais par endroit, dans les témoignages des femmes, des hommes aiment toujours, comme une lumière dans l’obscurité. Ces instants sont minuscules, difficilement perceptibles mais en lisière du possible.


Il me semble primordial que le théâtre, à son tour, fasse un maximum de bruit autour de celles qui ont disparu sans laisser de trace. En tant que femme, je désire donner de la voix face au silence de l’indifférence.


DES PRÉSENCES MORCELÉES


Quatre comédiens sur le plateau : trois femmes et un homme. Elles, les femmes, sont présentes, nombreuses et eux, les hommes ne sont qu’en reflet, inversés, pour fracturer le récit. Alors il suffit d’un seul, comme un prototype, une déclinaison de l’autorité, du vir. Il est en mouvement, en circulation parmi les femmes. Les comédiennes endossent parfois d’autres rôles, ceux par exemple des reporters ou des complices des hommes. De ces trois femmes, la journaliste est celle qui déclenche le témoignage. Il m’est apparu évident de prendre ce rôle, dans sa mise en abyme, dans son approche aux femmes, dans ces allées et venues : elle sera dans le public pour offrir le plateau dans sa totalité, comme un espace mental où les femmes enfin quittent l’invisibilité.


Un travail sur le morcellement du corps. Quand se met en place la mémoire du revivre mentalement et oralement : éclairer des jambes, des cuisses, des épaules, des mains etc. Se pencher sur l’idée du corps, comment le corps parle, raconte, à sa manière, ce que les mots ne peuvent dire. Deux langages qui, ensemble, apportent ou du sens ou du sensible. Pouvoir s’immerger dans toutes les perceptions possibles du présent. Les actrices ne sont pas dans l’acte interprétatif de la dénonciation mais dans le passage des mots avec leur corps exposé. Il y a à la fois du cri et du murmure, et il y a du présent, celui du plateau et des êtres qui écoutent et qui voient. Sentir et donner ce présent du dire, c’est ce qui m’importe car c’est une manière de ne pas oublier les êtres qui parlent, les êtres et non pas les « femmes prostituées ». Il s’agit toujours de nous, ce qui nous appartient communément, nous sommes aussi ces femmes et ces hommes.


L’importance de l’univers sonore, des sons, qui sont à la fois extraits de la nature, comme le bruit de l’eau qui pourrait, à s’y méprendre, être celui du sang… Quand les corps se désarticulent frénétiquement et la parole devient chant… Pour chaque femme revenue de l’enfer, un son sera le sien, délicat, à peine présent, il sera sa vibration interne, sa particularité.


Il y a eu la littérature après Auschwitz, où l’on saisit que l’on n’a pas pu tuer l’esprit, la force de l’esprit. Et pour ces femmes dont le corps n’appartient plus, il y a aussi cette force insondable qui les fait jouer, rire et chanter. Le projet est de cet ordre : sous l’effroi il y a la vie sensible, celle que l’on ne peut atteindre.

Nathalie Pivain

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.