: Note d'intention
La liberté de forme du théâtre de Shakespeare nous offre la possibilité d’être libres et irrévérencieux
Dans le grand lit fantasmé des rêves
Avec Le Songe d’une nuit d’été, William
Shakespeare nous emmène dans le temps
infini des rêves, celui où les minutes et les
secondes n’ont pas la même valeur pour tous
les protagonistes : une cour ducale, des fées,
des artisans et les spectateurs ! Ce que nous
aurons vu lors de la représentation, nous
l’aurons peut-être rêvé, mais, ce qui est
certain, c’est que cette abstraction fait
vraiment partie de notre vie. Ce que nous
aurons entendu aurait sans doute dû rester
secret, par pudeur, mais l’auteur met des
mots sur nos fantasmes, et, de cette façon, les
obsessions que nous essayons d’étouffer
prennent vie sur la scène. C’est notre monde
intérieur que Shakespeare nous donne à voir,
celui où les non-dits prennent la parole. Ici,
les jeunes filles se mettent à parler librement
dans le songe de l’auteur, alors que la fable,
initialement, les condamne à l’obéissance.
L’esprit de conquête et de rivalité des garçons est
troublé par les fluctuations du désir ; la nuit,
domaine des dieux et des fées, permet l’inversion
des rapports entre les humains, dans le grand lit
fantasmé des rêves. Le Songe d’une nuit d’été
donne donc rendez-vous avec le fantasme, c’est-à-dire,
d’une part, la manière dont le sentiment
amoureux provoque l’ouverture des sens et,
d’autre part, la façon dont le désir, l’excitation
sexuelle implique des craintes et des serments
bien différents de ceux de l’amour. Or, le désir fait
partie de l’amour. La façon dont Shakespeare met
en parallèle la dualité de ces deux entités – liées
depuis la nuit des temps – est proprement
extraordinaire : il explique de façon très directe
que le désir sexuel n’est pas du même ressort que
le désir amoureux, qu’il y a toute sa part sans
toutefois être toujours compatible avec lui. C’est
d’une modernité étonnante.
Se défaire des problèmes de détail
Si Molière n’a pas son pareil pour dépeindre des caractères, si Racine parle admirablement de la complexité des sentiments amoureux, si Tchekhov saisit la quintessence des relations humaines et des différences de classe, Shakespeare offre à lui seul un monde beaucoup plus vaste, et une liberté formelle qui nous donne la possibilité d’être irrévérencieux. Un de ses traits de génie réside dans la simplicité des solutions dramaturgiques qu’il adopte. Par exemple, dans Le Songe, pour accomplir un tour du monde, Puck entre en scène et dit : « J’ai fait le tour du monde » ! Tout comme le personnage du Temps, dans Le Conte d’hiver, qui vient nous dire qu’il s’est passé vingt ans... et il s’est passé vingt ans. Shakespeare cherche à se défaire des problèmes de détail ; il met en scène des thèmes profonds, en insistant toujours sur la dimension physique, immédiate du jeu des acteurs. Il est tout sauf un auteur psychologique.
La grande liberté des acteurs amateurs
Il traite de grands sujets philosophiques en
utilisant une multiplicité de formes comme
les rimes, le chant ou la prose. Il convoque
souvent dans ses pièces une troupe de
théâtre amateur qui tend un miroir à ses
propres personnages. Il nous raconte sans
cesse la nécessité du théâtre au coeur de la
cité. Dans Le Songe d’une nuit d’été, Thésée
fait l’apologie du théâtre pour tous, par tous,
c’est-à-dire, au fond, du théâtre d’amateurs.
J’ai un respect absolu pour le théâtre
d’amateurs. Je considère d’ailleurs qu’il n’est
pas normal que cette discipline ne soit pas
plus présente au sein de l’Éducation
nationale. Elle est pourtant capitale,
puisqu’elle convoque l’oralité, l’un des
instruments les plus performants, à mon avis,
dont dispose l’être humain. D’autant plus
performant qu’il implique une distance, en ce
sens que, dès lors qu’on joue ce que l’on vit, on est
en mesure de le regarder et d’en prendre
conscience. Par définition, les comédiens
amateurs sont ceux qui ne font pas du théâtre
leur métier (le métier se définissant ici par la
répétition d’un savoir-faire), mais qui y voient
une chance pour les êtres humains de se parler. Il
est extrêmement compliqué de mettre sur un
plateau cette fratrie des amateurs. Ces acteurs
qui n’ont pas de barrières parce qu’ils n’ont pas
l’obsession d’être de bons artistes, mais questionnent sans cesse l’utilité de ce qu’ils font. À quoi sert le théâtre ? Question
vertigineuse, école à laquelle l’acteur doit
revenir souvent pour éviter de se prendre
trop au sérieux, d’être trop centré sur lui-même.
Là où l’acteur professionnel se
demande : pourquoi, comment jouer tel rôle,
l’acteur amateur est dans une générosité
directe, au coeur même du lien social. J’ai
souhaité, dans ma mise en scène du Songe d’une nuit d’été, me promener sur cette
frontière, l’explorer tout au long de la pièce
qui n’est, en partie, qu’un vaste prétexte
pour arriver à cette représentation unique
que des amateurs offrent à Thésée pour ses
noces. Concrètement, j’ai voulu sonder le
rapport scène/salle pour que le « vrai
plateau » n’arrive qu’à la fin du spectacle.
Trois populations se partagent la
représentation : le monde de la cour, proche
du réel et que j’inscris dans la salle ; celui
des rêves, avec ses monstres, ses dieux et ses
fées – où le jeu, le temps ne sont plus les
mêmes – et que je situe sur le plateau ; et
enfin celui des artisans, qui sont quant à eux
dans un temps de répétition et d’une tentative de
représentation proche du happening ; c’est la
population la plus libre dans le spectacle...
Comme je pense qu’il est très difficile de diriger
des acteurs professionnels dans l’esprit de ce que
pourraient faire des amateurs, je souhaitais avoir
une certaine liberté avec le texte, et en faire
ressortir l’humour en partant de cette part
d’oralité, d’improvisation dont font preuve des
amateurs ; cela rejoint cette liberté et cette
irrévérence dont je parlais précédemment, celles
que le théâtre de Shakespeare permet, à mon
avis. Donc, à la fin du Songe d’une nuit d’été, le
sujet est clair : il y a un lion, il y a un mur, il y a
une lune, il y a un amoureux et une amoureuse…
Et après, comment fait-on ? là, immédiatement ?
Je trouve intéressant que, justement, avec tous
les moyens dont nous disposons à la Comédie-
Française, nous puissions néanmoins travailler
dans cet artisanat : comme les amateurs,
disposer de peu de choses, mais faire d’une chaise
et d’un morceau de tissu le monde.
Muriel Mayette-Holtz
janvier 2014
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.