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Le Songe d'une nuit d'été

mise en scène Muriel Mayette-Holtz

: Note d'intention

La liberté de forme du théâtre de Shakespeare nous offre la possibilité d’être libres et irrévérencieux

Dans le grand lit fantasmé des rêves


Avec Le Songe d’une nuit d’été, William Shakespeare nous emmène dans le temps infini des rêves, celui où les minutes et les secondes n’ont pas la même valeur pour tous les protagonistes : une cour ducale, des fées, des artisans et les spectateurs ! Ce que nous aurons vu lors de la représentation, nous l’aurons peut-être rêvé, mais, ce qui est certain, c’est que cette abstraction fait vraiment partie de notre vie. Ce que nous aurons entendu aurait sans doute dû rester secret, par pudeur, mais l’auteur met des mots sur nos fantasmes, et, de cette façon, les obsessions que nous essayons d’étouffer prennent vie sur la scène. C’est notre monde intérieur que Shakespeare nous donne à voir, celui où les non-dits prennent la parole. Ici, les jeunes filles se mettent à parler librement dans le songe de l’auteur, alors que la fable, initialement, les condamne à l’obéissance.
L’esprit de conquête et de rivalité des garçons est troublé par les fluctuations du désir ; la nuit, domaine des dieux et des fées, permet l’inversion des rapports entre les humains, dans le grand lit fantasmé des rêves. Le Songe d’une nuit d’été donne donc rendez-vous avec le fantasme, c’est-à-dire, d’une part, la manière dont le sentiment amoureux provoque l’ouverture des sens et, d’autre part, la façon dont le désir, l’excitation sexuelle implique des craintes et des serments bien différents de ceux de l’amour. Or, le désir fait partie de l’amour. La façon dont Shakespeare met en parallèle la dualité de ces deux entités – liées depuis la nuit des temps – est proprement extraordinaire : il explique de façon très directe que le désir sexuel n’est pas du même ressort que le désir amoureux, qu’il y a toute sa part sans toutefois être toujours compatible avec lui. C’est d’une modernité étonnante.


Se défaire des problèmes de détail


Si Molière n’a pas son pareil pour dépeindre des caractères, si Racine parle admirablement de la complexité des sentiments amoureux, si Tchekhov saisit la quintessence des relations humaines et des différences de classe, Shakespeare offre à lui seul un monde beaucoup plus vaste, et une liberté formelle qui nous donne la possibilité d’être irrévérencieux. Un de ses traits de génie réside dans la simplicité des solutions dramaturgiques qu’il adopte. Par exemple, dans Le Songe, pour accomplir un tour du monde, Puck entre en scène et dit : « J’ai fait le tour du monde » ! Tout comme le personnage du Temps, dans Le Conte d’hiver, qui vient nous dire qu’il s’est passé vingt ans... et il s’est passé vingt ans. Shakespeare cherche à se défaire des problèmes de détail ; il met en scène des thèmes profonds, en insistant toujours sur la dimension physique, immédiate du jeu des acteurs. Il est tout sauf un auteur psychologique.


La grande liberté des acteurs amateurs


Il traite de grands sujets philosophiques en utilisant une multiplicité de formes comme les rimes, le chant ou la prose. Il convoque souvent dans ses pièces une troupe de théâtre amateur qui tend un miroir à ses propres personnages. Il nous raconte sans cesse la nécessité du théâtre au coeur de la cité. Dans Le Songe d’une nuit d’été, Thésée fait l’apologie du théâtre pour tous, par tous, c’est-à-dire, au fond, du théâtre d’amateurs. J’ai un respect absolu pour le théâtre d’amateurs. Je considère d’ailleurs qu’il n’est pas normal que cette discipline ne soit pas plus présente au sein de l’Éducation nationale. Elle est pourtant capitale, puisqu’elle convoque l’oralité, l’un des instruments les plus performants, à mon avis, dont dispose l’être humain. D’autant plus performant qu’il implique une distance, en ce sens que, dès lors qu’on joue ce que l’on vit, on est en mesure de le regarder et d’en prendre conscience. Par définition, les comédiens amateurs sont ceux qui ne font pas du théâtre leur métier (le métier se définissant ici par la répétition d’un savoir-faire), mais qui y voient une chance pour les êtres humains de se parler. Il est extrêmement compliqué de mettre sur un plateau cette fratrie des amateurs. Ces acteurs qui n’ont pas de barrières parce qu’ils n’ont pas l’obsession d’être de bons artistes, mais questionnent sans cesse l’utilité de ce qu’ils font. À quoi sert le théâtre ? Question vertigineuse, école à laquelle l’acteur doit revenir souvent pour éviter de se prendre trop au sérieux, d’être trop centré sur lui-même. Là où l’acteur professionnel se demande : pourquoi, comment jouer tel rôle, l’acteur amateur est dans une générosité directe, au coeur même du lien social. J’ai souhaité, dans ma mise en scène du Songe d’une nuit d’été, me promener sur cette frontière, l’explorer tout au long de la pièce qui n’est, en partie, qu’un vaste prétexte pour arriver à cette représentation unique que des amateurs offrent à Thésée pour ses noces. Concrètement, j’ai voulu sonder le rapport scène/salle pour que le « vrai plateau » n’arrive qu’à la fin du spectacle. Trois populations se partagent la représentation : le monde de la cour, proche du réel et que j’inscris dans la salle ; celui des rêves, avec ses monstres, ses dieux et ses fées – où le jeu, le temps ne sont plus les mêmes – et que je situe sur le plateau ; et enfin celui des artisans, qui sont quant à eux dans un temps de répétition et d’une tentative de représentation proche du happening ; c’est la population la plus libre dans le spectacle...
Comme je pense qu’il est très difficile de diriger des acteurs professionnels dans l’esprit de ce que pourraient faire des amateurs, je souhaitais avoir une certaine liberté avec le texte, et en faire ressortir l’humour en partant de cette part d’oralité, d’improvisation dont font preuve des amateurs ; cela rejoint cette liberté et cette irrévérence dont je parlais précédemment, celles que le théâtre de Shakespeare permet, à mon avis. Donc, à la fin du Songe d’une nuit d’été, le sujet est clair : il y a un lion, il y a un mur, il y a une lune, il y a un amoureux et une amoureuse…
Et après, comment fait-on ? là, immédiatement ? Je trouve intéressant que, justement, avec tous les moyens dont nous disposons à la Comédie- Française, nous puissions néanmoins travailler dans cet artisanat : comme les amateurs, disposer de peu de choses, mais faire d’une chaise et d’un morceau de tissu le monde.

Muriel Mayette-Holtz

janvier 2014

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