Grand Cahier est un spectacle pour deux hommes, un cube, quatre saisons et treize séquences…
Au delà de la forme, Grand Cahier est un spectacle sur l'enfance et la guerre. Adapté d'un texte romanesque qui retrace les années terribles de deux jeunes garçons, des jumeaux, à travers les épisodes de la deuxième guerre mondiale du côté de la frontière Austro-hongroise, le spectacle cherche moins à retranscrire les données historiques de la fable qu'a pratiquer un questionnement contemporain sur ce qu'est une stratégie de survie de nos jours. Que doit-on sacrifier ? En quoi nous transformons-nous ?

Malheureusement nous sommes toujours confrontés à la violence et à la guerre. Il nous suffit d’écouter les médias. Que le recourt à ceux-ci soit légitime ou pas, nous devons toujours construire notre regard, tout simplement, pour supporter, supporter la souffrance, celle qu'on reçoit et aussi celle qu'on inflige. Les jumeaux de Grand Cahier vivent et racontent cela au jour le jour avec cette précision et cette froideur que ne peuvent avoir que ceux qui en ont déjà trop vu. C'est cette construction du regard qui nous intéresse. Dès leur arrivée chez Grand-Mère à la campagne, en passant par la disparition de leurs parents, jusqu'à leur propre séparation, toute leur vie est inscrite sur les pages de ce grand cahier qu'ils tiennent, journal de bord à travers la tempête. Ce sont ces lignes que nous livrons sur la scène.

Pourtant, notre spectacle ne se résume pas à la traversée lugubre d'un tunnel d'horreurs : le spectacle est un spectacle : nos deux enfants sont des "artistes", au sens où le petit Oscar de Gunther Grass est lui aussi un artiste. Ils écrivent, construisent et jouent leurs propres numéros, fruits de leur apprentissage de la réalité, instillant déjà à la base même du récit cette distance jubilatoire pour le spectateur de théâtre. Nous avons évidemment l'intention de garder cet aspect bien présent à l'esprit pendant le travail.

Pas question de demander aux comédiens de jouer les enfants, d'infantiliser leurs jeux, l'enfance reste à trouver, autrement, par exemple dans l'énoncé simple et distrait d'une réalité pourtant terrorisante. Nous fuirons le naturalisme, parce que celui-ci ne nous permettrait pas d'échapper à une datation historique qui ne pourrait que réduire le champs du propos. L'espace de jeu est métaphorique : un grand cube, caisse de munitions, comble dont les enfants ont fait leur royaume, mais aussi jouet de construction et plus loin encore boite à "jouer". Une scénographie propice à la plus grande théâtralisation du récit.

Grand Cahier propose un voyage à travers les espaces métaphoriques de la cruauté, de la déshumanisation, ponctué par les accents de la comédie enfantine. En toile de fond, cette question dont le point d'interrogation s'efface malheureusement toujours un peu plus : sommes-nous des monstres ?

Laurent Hatat