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Le Collier d'Hélène

mise en scène Nabil El Azan

: Note de mise en scène (avant la création en 2002)

Comment “dire”...


L’une des scènes : le “réfugié” force Hélène à ouvrir grand la bouche pour crier “On ne peut plus vivre comme ça”. Puis il lui fait promettre de le dire là-bas, dans son pays à elle, “dans les soirées, avec vos amis, quand vous buvez du vin, quand vous regardez par la fenêtre la ville toute blanche, si paisible et si bien ordonnée, dites-le, même si personne ne comprend, même si vous n’êtes plus certaine de savoir d’où vous vient cette phrase parce que ça fait longtemps, et c’est si loin, à l’autre bout de la terre. Dites-le.”


Voilà Hélène, venue d’un pays qui n’a jamais connu de guerre, elle-même revenue vraisemblablement d’un certain nombre de combats, gagnés ou perdus, vivant (mal) un problème de couple, la solitude, l’absence de cause et de passion - bref les fragilités de l’être en ces temps postmodernes -, s’accrochant à son collier dérisoire comme à une planche de salut, s’en faisant soudain une raison de vivre... Voilà donc Hélène, découvrant l’immensité du drame d’un peuple et la douleur de vivre dans un pays longtemps en guerre, au deuil difficile à faire, où violence, déracinement, éclatement des valeurs se vivent dans la chair.


La douleur est-elle différente selon qu’elle émane d’un mal être ou d’un mal vivre ?


La pièce oppose ces deux maux ou plutôt les met face à face. Sans trancher. Carole ne tranche pas, ne commente pas. Ne cherche même pas à expliquer d’ailleurs. Elle sait que les explications rationnelles ont déjà causé trop de tort, fait beaucoup de ravages. Elle prend d’autres sentiers, menant son lecteur/spectateur au coeur de la douleur, la montrant telle quelle, la laissant parler, la faisant partager, toucher du doigt presque, avec empathie, comme il lui est arrivé de la vivre elle-même, lors de cette mission spéciale* qu’elle a accomplie au Liban


Ce faisant, Carole investit un champ quelque peu délaissé (sinon snobé) du théâtre contemporain : celui du sensible (lequel n’exclut pas la recherche formelle, au contraire, mais c’est une autre histoire, une des autres perles du Collier d’Hélène). Ce faisant aussi, elle remplit la mission d’Hélène d’une magnifique façon, donnant une sacrée amplification au dire. Le “on ne peut plus vivre comme ça” résonnera longtemps dans la tête des spectateurs où qu’ils soient, ici ou là-bas, chacun y trouvant finalement comme un écho intime de son propre questionnement. Belle leçon de théâtre...


C’est peu dire que j’ai été été bouleversé à la lecture du Collier d’Hélène. Pour une fois que le théâtre réussit à dire à la fois la (ma) douleur libanaise - et j’ai envie de dire régionale (peut-on dissocier le drame libanais du contexte régional ?) - et la douleur d’exister tout court ! Pour une de ces rares fois que le théâtre, s’agissant de décrire le vécu de guerre, abandonne revendication, didactisme et moralisme !


Il ne m’a pas fallu réfléchir longtemps pour prendre la décision de créer cette pièce (Nabil, le nom du chauffeur, cet autre passeur, aurait été prédestiné). En fait il ne m’a pas fallu réfléchir du tout, étant donné que je me suis mis tout de suite à rêver...


Une scène vide, sans doute un écran, des acteurs. Six précisément. Une comédienne française pour jouer Hélène, trois comédiens libanais pour jouer la Femme et Nabil et le Contremaître, un comédien syrien pour le Rôdeur et un comédien palestinien pour interpréter l’Homme des camps. Hélène, Nabil, la Femme et le Rôdeur jouant leur partition en français, le Contremaître et le Réfugié jouant la leur en arabe, l’écran se chargeant de diffuser non seulement les images “fantasmées” de Beyrouth, mais aussi le surtitrage du texte en français ou en arabe, selon. La scène comme lieu où la mémoire se déploie et se questionne. La scène aussi comme lieu concret du face à face, entre acteurs de nationalités différentes, aux vécus différents, de formation différente*. Au-delà, le face à face entre deux langues, entre deux accents d’une même langue. Confrontation, choc de culture ou, plus simplement, échange et écoute ?


Le rêve continue : Le cri d’Hélène résonnant sur les scènes du moyen-orient, au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Egypte, dans les territoires occupés (il n’y a pas de visas dans les rêves), avant de remplir les scènes françaises, québécoises... Le spectacle accomplissant ainsi un étrange parcours équivalent à la genèse de la pièce.


Mais le rêve vient au réel. Grâce d’abord aux services culturels des ambassades de France au Liban et en Syrie, de théâtres locaux là-bas (le Théâtre national à Damas et le Théâtre de Beyrouth) qui ont décidé de l’accueillir. Grâce aussi à la Fédération des ATP de France qui vient de l’adopter pour le tourner sur un nombre de villes françaises. Un autre dialogue nord-sud est en train de s’engager. Cette fois sur le territoire privilégié de l’imaginaire : le théâtre.


*dans le cadre d’”Écritures vagabondes”, une résidence d’écriture de 9 auteurs au Liban, à l’initiative de Monique Blin du Festival International des Francophonies et Geneviève François du Centre Wallonie Bruxelles.


**toute la philosophie d’ACTE, à la découverte du Théâtre Français Contemporain* repose sur cette idée d’échange en créant des espaces de travail théâtral où se mêlent des artistes venant d’horizons différents - voir plus loin.

Nabil El Azan

02 février 2002

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