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Le Ciel, la Nuit et la Fête (Le Tartuffe / Dom Juan / Psyché)

Création à partir des textes Dom Juan de  Molière, Le Tartuffe de  Molière, Psyché de  Molière,

: Entretien

Propos recueillis par Marie Lobrichon

Pourquoi Molière ?


Émilien Diard-Detœuf : Nous avions la volonté de nous rassembler autour d’une chose qui nous est commune : la langue de Molière. Ce n’est pas qu’une expression. Molière fédère et a réussi en son temps à traduire dans son théâtre des éléments constitutifs de la société française, qu’on retrouve aujourd’hui encore. Les questions du XVIIe siècle ne sont d’ailleurs pas forcément résolues aujourd’hui. Où en sommes- nous de notre rapport au ciel, à la croyance, à la liberté ? et à la possibilité que tout s’effondre ?


Léo Cohen-Paperman : Molière, c’est la France. Il incarne également une figure d’artiste dans laquelle nous pouvons nous retrouver : s’il questionne les mœurs de ses contemporains, il est avant tout un auteur populaire, qui cherche à divertir les foules. C’est en cela que nous nous sentons une proximité avec lui. Le Nouveau Théâtre Populaire procède du théâtre public, tout en restant fondamentalement populaire et divertissant, et surtout proche des gens.


Julien Romelard : Molière est aussi un auteur de troupe, porté par le désir de mettre en scène ses comédiens. Comme lui, nous faisons un théâtre pauvre techniquement, où nous recherchons une langue qui mette surtout en avant les acteurs, sans presque rien d’autre.


Le Tartuffe, Dom Juan, Psyché : chacun de vous met en scène l’une des pièces de cette trilogie. Pourquoi les avoir choisies ?


Léo Cohen-Paperman : Tout projet du Nouveau Théâtre Populaire est d’abord soumis à un vote. Ces trois pièces ont donc été choisies par l’ensemble de la troupe. L’idée de les mettre bout à bout n’est venue qu’après. Il nous a semblé que le XVIIe trouvait un écho dans notre XXIe siècle, identitaire et religieux, et qu’un parcours pouvait se lire d’une pièce à l’autre : d’abord la fin d’un monde et de ses croyances, lorsque Orgon démasque Tartuffe ; puis la confrontation à un monde où le ciel serait vide dans Dom Juan ; et enfin, avec Psyché, la possibilité d’une réconciliation par la musique, dans un ciel peuplé par les hommes mêmes. Pour commencer la trilogie, Le Tartuffe sera joué en costumes d’époque !


Émilien Diard-Detœuf : Ce qui me passionne dans Dom Juan, c’est l’idée que l’archaïsme demeure, et que le costume contemporain contienne en lui les irrésolus d’une époque bien ancienne. Je suis parfois rassuré, parfois horrifié à l’idée que l’homme n’a pas beaucoup évolué en quatre cents ans. Je suis à peu de choses près cet homme qui parle en patois de l’Île-de-France – un peu Pierrot, un peu Sganarelle, un peu Dom Juan. Je fais donc ce pari de garder cette langue archaïque, tout en disant au spectateur : ne soyez pas dupe, il ne s’agit pas d’une reconstitution historique puisque ces gens sont habillés comme vous. Ils parlent différemment, mais leurs mots disent une réalité qui n’a pas cessé d’être.


Julien Romelard : Cela faisait longtemps que je souhaitais monter Psyché. Il s’agit d’une comédie-ballet, un genre créé par Molière et Lully et qui est en quelque sorte l’ancêtre de la comédie musicale. Terminer la trilogie par cette pièce offre une conclusion joyeuse à l’expérience que nous essayons de partager avec le spectateur : après l’avoir placé sur scène dans Tartuffe, puis évoqué sa présence fantomatique dans Dom Juan avec un gradin vide au centre de l’espace de jeu, nous invitons le public à une fête cathartique. Car la fête de Psyché est une catharsis, pour nous purger des passions du Tartuffe et de Dom Juan. La frontière est enfin abolie : ce n’est plus du théâtre, mais un moment de vie et de fête commune. Les trois pièces sont aussi liées entre elles grâce à Grand Siècle...


Émilien Diard-Detœuf : La radio est un média assez génial, en ceci qu’elle appartient à la fois au passé et au présent. Elle génère des chocs entre le mort et le vivant, l’ancien et le moderne, le fictif et le réaliste, ce qui offre un écho très pertinent à cette confusion qu’appelle Molière. D’ailleurs, sommes-nous aujourd’hui encore dans un « grand siècle » ? En faisant le lien entre le XVIIe et le XXIe siècle, Grand Siècle met en perspective à l’infini la question de l’actualisation. Sa présence est la condition de la liberté de nos trois spectacles dans leurs formes. Nous savons qu’il sera ce fil d’Ariane, qui permettra d’associer les tissus des trois pièces pour en faire une belle toile.


Quelle est cette expérience que vous souhaitez faire partager aux spectateurs avignonnais, lors de cette traversée ?


Léo Cohen-Paperman : Avec le NTP, nous mettons toujours le public au centre de nos spectacles. Tout notre travail consiste donc à créer des rencontres concrètes avec les gens. C’est pour cela que nous souhaitons développer au maximum les effets de hors-champ – avec « Grand Siècle » notamment, mais aussi en permettant aux spectateurs de voir les acteurs se préparer, de parler avec eux... qu’ils puissent sentir que ces comédiens n’ont pas peur de l’altérité. Nous faisons le pari d’une odyssée nue, et que ce soit en en faisant le moins que nous permettions le plus aux spectateurs de s’immerger dans cette aventure.


Émilien Diard-Detœuf : Nous souhaiterions créer une sorte de maison du théâtre en Avignon. Car le théâtre, c’est un art, un lieu, mais aussi une vision du monde. Jean Vilar définissait le Festival d’Avignon par ces mots : « le ciel, la nuit, le peuple, le texte, la fête ». Pour notre trilogie, nous avons souhaité reprendre cette citation, sans « le peuple » et « le texte » – non pour les effacer, mais au contraire parce que ces réalités sont déjà au centre du projet : nous avons mis littéralement le public sur scène. Quant au texte... il n’y a presque rien d’autre que lui !


Julien Romelard : Plus qu’une trilogie, Le Ciel, la Nuit et la Fête est un moment de vie partagé avec le public. C’est une chose très simple, qui peut être prise au pied de la lettre : rassembler acteurs et spectateurs, pour les inviter à faire l’expérience joyeuse de ce que signifie d’être ensemble au présent. D’où ce théâtre ouvert, plus accidentel et accidenté que sacré. Un théâtre pauvre, qui donne un accès très immédiat aux spectateurs et où les acteurs sont à nu, sans rien derrière quoi se cacher. Un théâtre qui se vive ensemble, et qui surtout soit joyeux !


  • Propos recueillis par Marie Lobrichon en janvier 2021 pour le Festival d'Avignon
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