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Le Bazar du Homard

mise en scène Jan Lauwers

: Entretien avec Jan Lauwers - Avignon 2006

EXISTE-T-IL UN LIEN ENTRE LA CHAMBRE D’ISABELLA QUE VOUS AVEZ PRÉSENTÉE AU FESTIVAL D’AVIGNON IL Y A DEUX ANS ET CETTE NOUVELLE CRÉATION, LE BAZAR DU HOMARD ?


JAN LAUWERS En premier lieu, le plus important, c’est la Needcompany, un collectif d’artistes qui travaillent ensemble. La chambre d’Isabella représente bien, je crois, le type de démarche qui anime la compagnie. La musique est composée par certains acteurs, les chorégraphies par les danseurs et tout le monde chante et joue. J’avais écrit ce précédent texte autour d’un personnage, Isabella, et pour une actrice, Viviane De Muynck. L’énorme succès de cette pièce, puisqu’il est presque devenu un spectacle « culte », induit de prendre une distance.
C’est pourquoi, d’une part, nous avons créé La Poursuite du vent, qui est un monologue de Viviane de Muynck. Et d’autre part, nous nous sommes tous réunis pour chercher ensemble autour du Bazar du Homard une autre qualité d’énergie. Bien sûr, le texte que j’ai écrit donne déjà une orientation mais c’est aussi la façon de travailler qui permet cette démarche et son évolution depuis maintenant une vingtaine d’années.
La Needcompany est aujourd’hui composée d’une vingtaine de personnes. Elle comprend une dizaine d’artistes et autant de techniciens que d’administratifs. Nous utilisons plusieurs médias artistiques : un groupe fait de la musique, un autre des films, etc. Il y a donc toujours de l’énergie et de cette façon, nous pouvons créer de manière plus agréable et décontractée. Cela me fait penser à Andy Warhol lorsqu’on lui demandait comment il se sentait dans la Factory avec tout le monde autour de lui, il répondait : « les gens ne sont pas autour de moi, je suis autour des gens. ». Toutes proportions gardées, je me sens comme ça !
Par ailleurs, nous ne concevons pas les spectacles comme un aboutissement en soi mais toujours comme un travail en permanente évolution. Parfois, on présente des étapes de notre travail avec des temps de recherches préparatoires et des rendez-vous publics que nous avons appelés les Needlapb, comme celui présenté l’an dernier au Festival d’Avignon.
Le Bazar du Homard est un grand spectacle au sens où tous les médias sont présents. C’est une pièce beaucoup plus noire que La chambre d’Isabella. Durant la précédente création, nous répétions sans cesse, « Go on ! Go on ! », c’était le « message ». Dans Le Bazar du Homard, j’ai voulu encore insister sur ce mouvement, celui de toujours continuer. Quand on a dit, il y a deux ans, que j’étais l’optimiste du Festival, je me suis dit que je pouvais bien accepter cette définition mais en la précisant : je suis optimiste par nécessité.


APRÈS MORNING SONGET PLUS PARTICULIÈREMENT ENCORE DANS LA CHAMBRE D’ISABELLA, IL S’EST OPÉRÉ UN CHANGEMENT DE TON, DE CLIMAT, DANS LES PIÈCES DE LA NEEDCOMPANY QUI SONT PLUS ENJOUÉES. EXISTE-T-IL UN MOTIF À CETTE TRANSFORMATION ?


C’est un acte politique. L’art doit être inquiet, il doit confronter chacun aux problèmes d’aujourd’hui. Cela a toujours fait partie de mes convictions. Aujourd’hui, l’Occident est en danger. Nous allons perdre beaucoup et cela me met en colère parce que c’est de notre faute. Nous sommes faibles, gâtés. Nous n’avons pas la force de nous suicider pour un idéal, par exemple. Mais j’aime beaucoup notre culture, j’ai envie de la défendre. Comment peut-on faire entendre cela si l’on ne parle que de noirceur ?
Je trouve que l’énergie de l’art est très importante, celle du théâtre notamment. Quand on se rend au spectacle, que l’on peut ressentir cette énergie, la capter et rentrer chez soi avec elle, je trouve que c’est déjà très important que l’art puisse donner de l’air, de l’oxygène, à chacun. Le théâtre doit apporter cet oxygène à notre culture, à notre civilisation.
Mes textes ont toujours développé une dimension politique, Le Bazar du Homard n’échappe pas à cette règle. Quand j’évoque ce rapport au politique, cela signifie que dans les textes et les pièces, je dis ce que je ressens, ce que je pense de nos sociétés. Mais en même temps, je revendique un espace non engagé, un rapport intime, absolument libre envers soi-même et l’art. Pour le dire autrement, une peinture reste d’abord une peinture et non pas un message. Sur scène, on regarde les interprètes, on écoute les textes, on prend en compte tous les éléments qui sont source d’énergie et qui sont réunis dans cet espace : danse, musique, théâtre, arts plastiques. Ils contribuent à ce rituel qui ouvre notre perception à d’autres dimensions ou façons de s’exprimer, de penser, d’interroger le réel, encore une fois, qui donne de l’oxygène.


VOUS DITES AVOIR ÉCRIT CE TEXTE ENFERMÉ DANS UNE CHAMBRE DEVANT LA TÉLÉVISION ALLUMÉE ?


On est toujours immergé dans la société. Je ne veux pas être cynique, arrogant ou laisser supposer que je serais différent des autres. Il y a aujourd’hui un phénomène surprenant dans nos milieux de l’art. Il s’agit de l’image, de la personnalité d’un artiste et de la place qu’on lui donne. Dans La chambre d’Isabella, je suis moi-même en scène, je joue mon propre rôle en costume blanc. Cela a produit beaucoup de réactions. Je n’ai pas tout de suite réalisé à quel point et pourquoi c’était si important mais à la faveur de ce détail, j’ai pris conscience que l’art contemporain pose beaucoup de questions autour de la place de l’artiste : pas forcément de manière autobiographique mais disons plutôt que l’artiste lui-même fait partie de son oeuvre. Finalement je trouve cela assez juste, cet endroit où la vie et le travail se confondent. Il y a dans ce que j’écris ou mets en scène beaucoup de cette intimité, de mes sentiments envers la vie. Même si je ne suis pas intéressé par des formes comme le journal intime car je pense qu’il faut toujours sublimer, dans l’écriture du Bazar du Homard, j’ai cherché à développer une forme de narration que j’avais déjà entreprise pour La chambre d’Isabella et j’ai cherché à donner le plus de présence possible aux femmes. Sur scène, il y a plusieurs objets et espaces différents, avec des oeuvres issues cette fois non pas de la collection de mon père mais de mes activités de plasticien. Mais bien sûr, c’est le texte qui reste au coeur du travail, qui par ailleurs a fait l’objet pour la première fois d’une édition chez Actes Sud-Papiers. De mon point de vue, je pense que l’homme de théâtre est aussi seul que le peintre dans son atelier, avec sa dimension humaine, collective, qui est très importante pour moi.


Propos recueillis par Irène Filiberti

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