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La Maison d'os

+ d'infos sur le texte de Roland Dubillard
mise en scène Anne-Laure Liégeois

: Entretien Anne-Laure Liègeois

Propos recueillis par Pierre Notte

Le projet de La Maison d'os est né du vivant de Roland Dubillard, comment avez-vous découvert ce texte ? Comment Dubillard s'est-il imposé à vous après Perec, De Vos, Marlowe, Webster, Wallace ?


En juillet 2011 Jean Michel Ribes qui avait programmé l’Augmentation et Débrayage en début de saison, et qui avait vu mon dernier spectacle la Duchesse de Malfi, me disait : « tu fais ce que tu veux, où tu veux, quand tu veux... » difficile de résister à une telle proposition quand elle vient du directeur d’un des plus formidables et désirables théâtres de Paris. Quand la liberté est si grande, quand la confiance est telle ! Mais je l’avoue honteusement l’absence de contraintes me panique... la générosité était à peine croyable, extraordinaire et ce qui l’était tout autant c’est que je ne savais tout à coup, alors que j’ai toujours des tombereaux de textes à rêver, plus du tout sur quel texte me mettre à l’ouvrage ! Alors j’ai lu et relu tous les maîtres et camarades du Rond Point et de Jean-Michel Ribes. J’ai lu Topor avec un plaisir sans bornes, mais Topor même toujours si vivant par son écriture, par précisément son écriture sur la mort, ne respirait déjà plus le même air que nous ! Et le Rond-Point est la maison des auteurs vivants! Et puis j’ai relu tout Dubillard. La Maison d’Os n’était plus éditée mais j’ai persévéré et quand je l’ai enfin trouvée et lue, c’était évident... J’avais le sentiment de devoir faire vite, c’était maintenant qu’il fallait mettre en scène La Maison d’Os, parce que personne ne le faisait et que ça n’était pas pensable qu’un tel texte ne soit pas joué, parce qu’il fallait qu’on entende Dubillard, qu’on entende vite, avant qu’il ne soit trop tard, ce texte qui disait la fin débridée et folle d’un corps. La fin d’une histoire. Vite faire ce Dubillard-là, une nécessité pour que vive encore le poète. Et puis après, il est mort et je ne l’ai pas rencontré, je crois que j’en garderai une blessure. Pour avoir partagé des heures et des heures avec Perec, avoir mis ses mots dans nos bouches, et n’avoir jamais senti son souffle, le vrai, je sais comme il est triste aussi parfois de travailler avec un auteur qui pourrait être encore vivant.
Dubillard s’était imposé parce que toutes les grandes écritures s’imposent. Et puis aussi sans doute parce qu’il y a dans le texte un fond de réflexion commun sur les rapports dominants dominés, ou plutôt menants-menés, tête et corps, tête et membres du Tout, entre La Maison d’Os et ses 80 valets et 1 maître, et L’Augmentation et Débrayage où se débattent des patrons et des employés ; parce que comme chez Perec les choses sont dites là dans un éclat de rire, une féérie de mots, une fête de la langue ; parce que l’heure y est grave mais faite de minutes légères comme chez Devos ; parce qu’il est question de grand corps pourrissant allègrement, de monde touchant à sa fin comme dans Webster, Marlowe et Wallace, que se pose ici encore la question de la mort et du monde à vivre après la disparition !...


C'est une œuvre multiforme, pleine de figures, de passages, de lieux... Mais raconte-elle une histoire ? Est-ce une épopée gigantesque, un parcours initiatique ? Une aventure intime ?


Il y a des égouts, des combles, des tuyaux en tout genre, circuits électriques, plomberie, comme une peau retournée ou un corps utilisé par les étudiants en médecine, un squelette sur perche avec pieds ballants et intérieur plastique bleu et rouge ! Et circulant dans cet espace de poussière qui oscille entre réel et irréel, il y a un maître, comme un grand corps qui se contemple et ses quatre-vingt valets, comme ses membres débridés, ses cellules devenues folles ! Une maison grande comme un château, un corps grand comme une maison, des personnages qui surgissent du néant et y retournent aussi vite ; on ne sait plus où on est, en haut, en bas, sur terre, déjà en enfer ou au paradis, dedans, dehors... on ne sait plus si celui qu’on a croisé au détour d’un couloir est le même que celui qui met la terre en pot et règle les pendules, si celui qui danse sous la gouttière est le même que celui qui règle l’harmonium. C’est une œuvre folle qui raconte l’histoire d’un homme qui veut contempler le monde depuis le haut, hors de lui-même qui veut savoir ce que devient son corps quand il n’est que pur esprit. C’est l’histoire de tous ses membres, de toutes ses cellules, qui le composent qui continuent à faire une sacrée fête quand leur maître est parti, de souris qui dansent quand le chat a quitté les lieux. C’est un parcours vers l’admission joyeuse de sa fin et de sa survivance. C’est la plus intime des aventures, celle de soi avec soi. La compréhension de sa réalité. Celle qui me fait souvent me pincer pour me dire j’existe quand je me demande si je suis ce corps ou cette chose qui le pense. C’est aussi toute l’histoire d’une pétrification qui finira en feux d’artifice. Peut-être que tout cela paraît bien compliqué mais c’est aussi simple et évident que la poésie quand elle est inévitablement belle.

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