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La Reine des neiges, l'histoire oubliée

mise en scène Johanna Boyé

: Grandir avec audace

Rencontre Johanna Boyé

Chantal Hurault. Vous signez avec Élisabeth Ventura une adaptation de La Reine des neiges d’Andersen. Pourquoi avoir ajouté au titre « l’histoire oubliée » ?


Johanna Boyé. Nous voulions éviter toute équivoque avec le film d’animation des Studios Disney, surtout pour les enfants, car l’intrigue y est totalement différente de celle d’Andersen où il s’agit non pas de deux soeurs mais d’une fille et d’un garçon amis d’enfance, nommés Gerda et Kay.
Ce sous-titre renvoie par ailleurs à l’oralité du conte, prise en charge au début du spectacle par une grand-mère qui raconte une histoire à ses petits-enfants.
Son récit prend vie au plateau : les enfants, Liv et Floki, deviennent les protagonistes de l’histoire, Gerda et Kay, tandis que la Grand-Mère laisse comprendre à la fin qu’il s’agit de son propre passé, lointain et secret. Ce conte se déroule au coeur de la nuit, dans l’intimité du rêve où se nichent des solutions pour s’armer dans la vie.
On y apprend à dompter la nuit, et avec elle nos démons. Nous avons voyagé tout au long de l’écriture avec Shakespeare, particulièrement Le Songe d’une nuit d’été.


C. H. Le personnage de la Reine des neiges est paradoxalement peu développé dans le conte.
Comment l’avez-vous envisagé ?


J. B. Nous avons tiré les fils du peu qu’en dit Andersen pour en faire une femme initiatrice plus humanisée, tout en conservant sa part de mystère. Cette « passeuse », comme elle se présente elle-même, agit sur les saisons et favorise l’entrée de Gerda et Kay dans l’adolescence. C’est pour déjouer la magie des Trolls qu’elle entraîne dans son château Kay qui a reçu un morceau de miroir inversé dans l’oeil. Là, elle passe par des énigmes pour que ce garçon lunaire, passionné par les mathématiques et qui a tendance à se réfugier dans le mental, parvienne à trouver qui il veut être et par quel chemin le devenir. En l’enlevant, elle décide également du voyage initiatique de Gerda, qui part à son tour à la rencontre d’elle-même.
S’il y a une dimension commune avec Alice au pays des merveilles, Gerda ne pénètre pas dans un monde aussi abstrait que chez Lewis Caroll et surtout elle trouve des alliés d’étape en étape. J’aime la façon dont ce conte sur l’amitié expose deux chemins qui se séparent pour se retrouver.


C. H. La Reine des neiges et Gerda, mais aussi la Sorcière du crépuscule, la Princesse Lunettes ou encore la Magicienne : Andersen offre ici un panel assez rare de figures féminines aux personnalités fortes.


J. B. J’ai été immédiatement interpellée à la lecture par la singularité de l’héroïne qui n’est pas une jeune fille en quête d’un prince charmant mais part braver les dangers pour sauver son ami. Elle croise en effet sur son chemin nombre de femmes puissantes, souvent ambivalentes, qui lui permettent de développer sa propre personnalité. Durant l’adaptation, outre La Psychanalyse des contes de fées, des ouvrages comme Sorcières de Mona Chollet ou Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés ont élargi notre représentation d u féminin. Les mythes et l’histoire de ces femmes des temps anciens qui se transmettaient leur savoir, en osmose avec la nature et le cosmos, a pu nous guider dans l’équilibre que Gerda cherche entre instinct et réflexion. S’il y a une chose que j’aimerais que les plus jeunes spectateurs retiennent du spectacle, c’est l’audace de Gerda.


C. H. Dans votre mise en scène, comment appréhendez-vous le merveilleux propre à l’univers du conte ?


J. B. Les séquences comme celle du miroir inversé sont une occasion formidable d’introduire quelques effets magiques. Ils servent le monde des trolls, et les territoires mystérieux dans lesquels Gerda pénètre à partir de l’apparition des souliers. C’est la magie qui l’attire et la décide à partir loin de chez elle.
Parallèlement, il y a cette autre forme de magie liée à la machinerie théâtrale. Avec la scénographe Caroline Mexme, nous avons cherché les lieux du merveilleux en nous efforçant de permettre au public de construire son propre imaginaire à partir de ce qu’on lui donnerait à voir. Nous avons décidé d’inscrire un point fixe, le château de la Reine des neiges, et de faire surgir tout autour, depuis les dessous ou à travers un ballet des cintres, la forêt, le château de la Princesse Lunettes, la Laponie…
Cela fonctionne avec des changements rapides de costumes, une sorte de tour de passe-passe dans les partitions des comédiennes et des comédiens qui interprètent plusieurs personnages. Outre l’environnement sonore – craquements de glace ou bruits plus mystérieux participant à la magie du théâtre –, quelques chansons originales pimentent le jeu. Ces moments musicaux s’intègrent naturellement et avec le plus de fluidité possible à l’action, créant un décalage joyeux dans la façon de raconter l’histoire.


C. H. Les personnages comptent des animaux et des trolls, quel type d’interprétation leur destinez-vous ?


J. B. un renne et une corneille qui parlent, c’est un grand bonheur de l’enfance ! Petite, j’aimais les contes pour ce rapport aux animaux. Ils ont ici de vraies et belles personnalités, et je désirais suggérer l’animal en conservant l’humanité de l’acteur qui les endosse. Marion Rebmann a conçu des costumes avec juste quelques éléments qui les caractérisent, jouant avec une allure smart pour la Corneille, plus bonhomme pour le Renne.
En ce qui concerne les trolls, Andersen débute son récit par l’école du Grand Troll – ou le Diable comme il le nomme sans distinction. Nous avons eu envie d’amplifier la présence de ces créatures des légendes du Nord ; elles provoquent la « catastrophe » inaugurale et restent dans les alentours pour surveiller ce qui se passe…
J’évoquais Le Songe d’une nuit d’été : il y a du Puck dans ces personnages farceurs, à la fois gentils et méchants, qui s’immiscent dans le monde des humains sans que ces derniers s’en aperçoivent.
Les Scandinaves sont particulièrement friands de cette cohabitation, nous invitant à croire que lorsque nous ne trouvons pas nos lunettes, un troll les a peut-être subtilisées…
Il y a même en Norvège, à l’entrée de la Route des Trolls, un vrai panneau signalétique spécial pour eux ! Cette possibilité de l’invisible, du hasard et des coïncidences nous renvoie à tout ce que nous ne nous expliquons pas raisonnablement.


C. H. Les aventures de Gerda et Kay dans les contrées du Grand Nord sont-elles pour vous l’occasion de parler de notre rapport à la nature ?


J. B. La « colère » des Trolls contre les humains qui ouvre le conte d’Andersen a inévitablement résonné avec la situation écologique dans laquelle nous sommes, pointant le rapport toxique que nous entretenons depuis longtemps à la nature. Nous sommes entrés dans une telle course à la construction sur le moindre bout de terre encore en friche ou sauvage, que les animaux, et en l’occurrence nos habitants de la forêt, ne peuvent que se rebeller. Leur miroir inversé participe d’une guerre des territoires.
Au-delà, il y a chez cette Reine des neiges qui part éteindre les volcans tandis que Gerda frôle la mort dans une tempête l’expression d’une puissance de la nature, d’éléments qui nous dépassent. La structure du conte suit le rythme des saisons, on y retrouve le cours de la vie où des périodes d’effervescence succèdent à des moments de gestation. La nature reste un miroir riche d’enseignement.
Les enfants sont de bout en bout placés face aux splendeurs des roses d’un jardin, de l’immensité enneigée ou d’aurores boréales.
Dans ces contrées du Grand Nord, presque mystiques, on ne peut qu’être submergés par la beauté absolue des paysages. Dans la solitude de son palais de glace, la Reine des neiges pousse Kay à dépasser ses limites mentales.
L’intelligence du conte est d’articuler ce lien à la beauté et à l’invisible avec le fait que ce soit dans l’expérience physique de ses retrouvailles avec Gerda qu’il trouve la résolution de l’énigme.


  • Entretien réalisé par Chantal Hurault
  • Responsable de la communication et des publications du Théâtre du Vieux-Colombier
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