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La Femme qui tua les poissons

+ d'infos sur l'adaptation de Bruno Bayen ,
mise en scène Bruno Bayen

: Clarice Lispector par Bruno Bayen

D’août 1967 à décembre 1973, Clarice Lispector tient une chronique chaque samedi dans le Jornal do Brasil, le principal quotidien de Rio de Janeiro. Son fils les a rassemblées sous le titre La Découverte du monde, livre publié en français aux Éditions des femmes en 1995. Dans ces chroniques écrites sous la dictature, il ne sera que rarement question de politique ou de l’actualité culturelle. La Découverte du monde est l’écoute de l’actualité inactuelle. Son actualité inactuelle n’a pas cessé. Soucieuse des lectrices et lecteurs du journal, car un journal, comme elle l’écrit entre guillemets, est d’abord fait pour être compris, Clarice Lispector promène en des récits touchant à ses enfants, ses bonnes, aux chauffeurs de taxi, aux animaux, aux insomnies, un « je » intime et joueur, ironique, espiègle et chaleureux, et six années poursuit un exercice du regard et de tous les sens à travers les jours et les nuits qui se suivent. Elle improvise, elle arpente. Nous sommes là dans son atelier. Les mesures changent à chaque instant, l’univers est gullivérien, la pensée saute de la fourmi au cosmos, à la lumière des étoiles mortes, de l’âge des cavernes au futur millénaire. Clarice ne sait pas d’avance ce qui va lui venir au bout des doigts, quand elle écrit la nuit pendant que vous dormez. À partir de presque rien, sa machine à écrire posée sur ses genoux, elle invente, tisse, conte, cesse de conter, continue. Envois, adresses, sketchs, contes, anecdotes, dialogues messages et toutes variantes sur ce qui fait battre le coeur. C’est sa manière de prendre en charge le monde, comme elle le dit, si bien que ces textes s’articulent et forment une singulière unité, c’est une somme, et non une série disparate que le montage d’extraits choisis parmi six cents pages tente de rendre dans sa poétique. « Si je dis je, c’est parce que je n’ose pas dire tu ou nous ou une personne. Je suis obligée à l’humilité de ma personnalité, me rapetissant, mais je suis le estu. » De ses promenades et improvisations Clarice, comme on l’appelle au Brésil, n’exclut jamais son lecteur, c’est une voix que nous entendons, qui nous atteint. Elle a dit de ces chroniques, que ce sont avec ses lecteurs des bouts de conversation où elle leur vend une partie de son âme. C’est bien pour cela qu’elle peut être écoutée, unique surprenante, sur une scène. Unique et universelle puisqu’elle ne revendique aucun moi. L’actrice n’a pas à incarner Clarice Lispector, qui aimait citer cette phrase de Bernard Berenson : « Une vie complète est peut-être celle qui se termine par une identification si totale avec le non-moi qu’il ne reste aucun moi pour mourir. » C’est parfois notre journal intime qu’elle nous adresse. Elle nous effleure d’une caresse. Atteinte simple, voeu de parler de la vie, et ainsi se rapprochent le goût des pommes de terre et la bonté du monde, le cadeau d’un sweater qu’on va porter dehors pour la première fois et la gloire de la condition féminine. Elle qui lançait, comme défi aux analystes : « J’ai rêvé qu’un poisson se déshabillait et se retrouvait tout nu ») a aussi écrit des contes pour enfants. L’un d’eux s’appelle La femme qui tua les poissons. Il lui vint après qu’elle avait oublié de donner à manger aux poissons de son fils parti en vacances. Nous en avons choisi deux extraits pour ouvrir et terminer le spectacle. Clarice Lispector vient d’une petite ville d’Ukraine, Tchechelnik. L’année de sa naissance, ses parents juifs émigrent au Brésil. Elle publie son premier roman Près du coeur sauvage en 1944. Mariée à un diplomate, elle passe une quinzaine d’années hors du Brésil et s’établit définitivement à Rio de Janeiro en 1959. Si elle est surtout connue pour ses romans, dont le plus célèbre est peut-être La Passion selon G.H., elle est aussi une grande nouvelliste, elle écrit des livres pour enfants, elle traduit de l’anglais, du français, et collabore à plusieurs journaux, pour qui elle réalise des entretiens et à qui elle donne des chroniques. Certaines de ses oeuvres ont été adaptées pour le théâtre au Brésil, où elle est considérée comme un écrivain majeur de son siècle. Elle reste assez mal connue en France, bien que la plupart de ses textes y soient publiés aux Éditions des femmes. Une femme d’une extrême élégance, qu’on a pu comparer à Veronica Lake ou à Marlene Dietrich. La dernière phrase qu’elle a écrite, « Mon âme a le poids de la lumière. » On a inscrit sur sa tombe cette citation d’un de ses livres, « Donner la main à quelqu’un fut toujours ce que j’espérais de la joie. ».
Elle meurt un neuf décembre 1977.

Bruno Bayen

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