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La Cerisaie

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mise en scène tg STAN

: Entretien avec Frank Vercruyssen et Jolente De Keersmaeker – tg STAN

Propos recueillis par Renan Benyamina

Vous formez depuis 1989 un collectif solidaire qui s’entoure régulièrement d’autres acteurs. Le travail en collaboration fait-il partie de l’ADN de tg STAN ?


Frank Vercruyssen : Depuis la formation de tg STAN, la rencontre et la collaboration avec d’autres acteurs font en effet partie intégrante de notre démarche. La confrontation avec d’autres styles de jeu, d’autres histoires est très enrichissante. Aujourd’hui, nous misons beaucoup sur de jeunes acteurs. C’est probablement l’un des enjeux clés de notre travail sur La Cerisaie. C’est à la fois inquiétant et très excitant. Dans Les Estivants, nous jouions tous les quatre avec cinq acteurs extérieurs, dont une dame de 65 ans. Cette fois-ci, nos complices sortent tout juste d’écoles de théâtre. (...)


Pour quelles raisons avez-vous choisi de monter La Cerisaie ?


Frank Vercruyssen : Nous avons hésité un moment entre La Mouette et La Cerisaie ; la première est en quelque sorte la pièce parfaite, avec des dialogues monstres, mais il y a dans la deuxième quelque chose d’effrayant, d’inquiétant, qui nous attirait. La chose, dans La Cerisaie, c’est autre chose. De nombreuses études ont été écrites sur cette pièce ; il a notamment été dit que les personnages de La Cerisaie essaient d’être des personnages de Tchekhov mais n’y parviennent pas. Tout se passe hors dialogues, en souterrain. Au moment de son écriture, Tchekhov était dans un état de fragilité, dans une transition entre naturalisme et symbolisme. La dimension comique de la pièce, affirmée par son auteur, a fourni l’occasion de nombreux débats. C’est l’un des paradoxes et des mystères de La Cerisaie.
Tchekhov était fâché contre Stanislavski qui l’a monté comme tragédie. Ce dernier s’étonnait quant à lui que Tchekhov insiste autant sur sa dimension comique. Quelles que soient les interprétations, il y a indubitablement du burlesque, parfois même des airs de vaudeville.


Jolente De Keersmaeker : Ce qui semble incroyable également, c’est qu’à la première lecture de la pièce, on peut considérer qu’elle ne contient pas véritablement de grands dialogues. En réalité, l’écriture est tellement pensée, pesée, précise que La Cerisaie est considérée par beaucoup comme son chef-d’œuvre. Le mélange d’absurde, de comique, de grotesque offre une matière inépuisable de réflexion et d’interprétation. Nous sommes attentifs à cette balance entre tragédie et comédie ; il convient d’éviter une représentation mélancolique ou dépressive.


Outre le mystère littéraire de la pièce, en quoi l’histoire de La Cerisaie vous intéresse-t-elle ?


Jolente De Keersmaeker : Ce texte parle pour nous, aujourd’hui ; nous ne jouons donc pas la Russie d’il y a cent ans. La Cerisaie a quelque chose à voir avec une tragédie grecque. Dès le début, nous savons ce qui va arriver : la cerisaie sera vendue. L’enjeu n’est pas la narration. Ce sont les forces à l’œuvre, entre impuissance et passion. On peut lire La Cerisaie comme une pièce sur le thème de la beauté inutile et de la raison instrumentale. Lioubov dit à un moment « c’est si beau, on ne va pas couper tous ces arbres ». Or, la beauté sans valeur économique est sans cesse menacée. Cela nous rend peut-être plus humains mais ne nous enrichit pas pour autant, à proprement parler. Nous nous sentons particulièrement concernés dans la mesure où l’art et la culture font plus que jamais face à ce type de pressions. En Flandre et en Hollande, le théâtre est actuellement particulièrement malmené.


Pouvez-vous nous expliquer votre processus de travail ?


Frank Vercruyssen : Nous avons énormément lu sur La Cerisaie. La somme des essais et des commentaires sur cette pièce est assez effrayante. La maturité que nous avons gagnée au fil du temps intervient probablement et nous rend moins inconscients qu’auparavant. La dimension monstrueuse de La Cerisaie nous a mis une certaine pression ; petit à petit, nous nous en débarrassons. Nous travaillons à partir de traductions françaises, allemandes, néerlandaises et du texte original, pour aboutir à notre propre version. Nous avons la chance de compter dans l’équipe une comédienne russe, Evgenia, qui est parfaitement bilingue. Cette phase de lecture et d’appropriation a duré entre cinq et six semaines. Nous avons aussi visionné de nombreuses mises en scène, car c’est une pièce icône, jouée depuis 111 ans. Des milliers de gens se sont questionnés sur cet objet.
Comme d’habitude, nous consacrons de longues semaines au travail de lecture à la table. Nous avons beaucoup ri et nous sommes heureux de l’alchimie qui s’est mise en place. C’est d’autant plus passionnant que la pièce se dévoile au fur et à mesure. Le grand défi, c’est de découvrir pourquoi ce texte est tellement génial. La dernière fois que j’ai éprouvé ce sentiment de vertige, c’était avec la pièce Le Tangible, parce que nous n’avions aucun texte pour matériau.

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