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L'Opéra de Quat'sous

Thomas Ostermeier ( Mise en scène ) , Bertolt Brecht ( Texte ) , Kurt Weill ( Musique ) , Maxime Pascal ( Direction musicale )


: Entretien avec Thomas Ostermeier

Propos recueillis par Christian Longchamp et Elisa Leroy

La création, en 1928, de Die Dreigroschenoper au Theater am Schiffbauerdamm de Berlin, eut lieu à l’occasion de la réouverture de ce théâtre sous la direction de Ernst Josef Aufricht. Cette œuvre est cer- tainement celle qui a été la plus montée en Allemagne au XXe siècle. Aujourd’hui encore, elle reste incontournable outre-Rhin.


Il faut d’emblée insister sur le fait qu’il s’agit d’une œuvre de Brecht d’avant sa lecture de Karl Marx. C’est donc une œuvre qui précède l’invention de la « méthode » qu’il a développée à partir de sa réflexion sur le théâtre épique. Une œuvre d’avant son théâtre politique. Ce constat a évidemment des effets sur notre mise en scène : elle se sert de cette pièce antérieure à notre image de Bertolt Brecht l’homme de théâtre marxiste, pour livrer une réflexion sur l’utopie d’un avenir plus humain et plus digne. Une réflexion que nous menons avec les instruments développés plus tard par Brecht, mais dont les traces sont déjà présentes dans L’opéra de quat’sous.


Chacun des trois actes de la pièce se termine par un grand finale. Dans chacun d’eux se révèle un certain regard politique, qui parle du monde et de l’ordre sociétal qui le structure. Et Brecht y exprime des positions très nihilistes. Dans l’esprit de cette pièce, je retrouve un sentiment d’impuissance à changer le monde, ce même sentiment que nous éprou- vons aujourd’hui. Cette forme de pessimisme désespéré va de pair avec une forme de satire du monde de l’opéra.


Pour façonner l’environnement esthétique de notre production, nous avons lorgné, avec la scénographe Magda Willi et le vidéaste Sébastien Dupouey, du côté de ce qui se faisait de plus intéressant et de plus novateur à partir des années 1917-1918 sur les scènes de théâtre russes, avec des artistes comme Meyerhold ou Maïakovski, le constructivisme, les créations de Lissitzky, une esthétique du collage. Au moyen de la vidéo, nous voulons évoquer non seulement l’utopie communiste qui gagna toute l’Europe au cours des années 1920 – ainsi que Brecht, à la toute fin de la décennie et à partir du début de la décennie suivante, à travers l’esthétique d’avant-garde qui a éclos à ce moment-là –, mais aussi la fin de cette utopie, sa chute. En 1928, l’utopie communiste est déjà contredite par la terreur stalinienne. Alors que L’opéra de quat’sous est situé par la plupart des mises en scène dans un monde de mendiants et criminels romantisé, le plus souvent à Londres, dans un XIXe siècle imaginaire, nous aimerions renouer avec les traditions esthétiques et politiques des événements qui précèdent et nourrissent la création de la pièce en 1928.


L’opéra de quat’sous est une œuvre polymorphe. Il en existe plusieurs versions : celle qui fut créée en 1928, et celle de 1931, revue et complétée par Brecht en 1948, en réaction aux crimes du régime fasciste en Allemagne, ultime version dans laquelle le grand poète charge ses songs d’une analyse politique nouvelle. Nous avons fait le choix de nous fonder sur la version première de 1928, qui est la plus ramassée, la plus directe – en gardant toujours un œil sur les modifications apportées par Brecht lui-même.


La pièce se passe à Londres, dans un univers sombre dont les personnages appartiennent tous, d’une manière ou d’une autre, au monde du crime. Face au grand bandit Macheath, Jonathan Jeremiah Peachum s’enrichit en louant les rues de la capitale aux mendiants. Sa fille Polly va épouser Macheath en secret, alors que ce dernier est déjà marié avec Lucy, la fille du chef de la police Brown, un vieil ami de Macheath. C’est pourtant ce même Brown qui, sous le chantage de Peachum furieux, va trahir Macheath, lequel, à son tour, est victime de ses « petites habitudes » : au lieu de fuir Londres pour sauver sa peau, il retourne dans les bras de la prostituée Jenny comme tous les jeudis.


Macheath ne poursuit pas d’objectifs politiques. Son problème est plutôt de réussir à dissimuler ses conquêtes amoureuses aux autres femmes qu’il courtise. Et au lieu de porter un jugement moral sur ses personnages ou de donner crédit aux enjeux mélodramatiques, Brecht donne à voir un monde dans lequel les criminels aisés singent le mode de vie bourgeois des spectateurs et des spectatrices, en dénonçant l’hypocrisie du jugement moral de ces derniers dans le célèbre « Deuxième finale de quat’sous » : « D’abord, la graille – et la morale, après. »


Les auditions menées avec Maxime Pascal nous ont offert des moments magnifiques et travailler avec lui est une expérience formidable, à la mesure de la chance merveilleuse que nous avons de travailler à nouveau avec la troupe de la Comédie-Française.


J’aime beaucoup la musique de Kurt Weill, mais je dois aussi avouer que cette pièce me tient tout particulièrement à cœur pour une autre raison : j’ai fait mes études à l’École Ernst-Busch, dans l’est de Berlin ; or Ernst Busch a chanté dans la création mondiale de L’opéra de quat’sous. C’était un grand acteur-chanteur brechtien. Même si j’ai monté peu de pièces de Bertolt Brecht, j’ai donc été formé, dès mes débuts, à ce qu’on appelle le théâtre brechtien.


  • Propos recueillis par Christian Longchamp et Elisa Leroy, novembre 2022
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