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L'Avare

+ d'infos sur le texte de  Molière

: Molière ou la dénonciation

Le dix-neuvième siècle a voulu voir en Molière l'interprète du bon sens bourgeois. En somme, l'auteur de L'Avare se serait contenté de ridiculiser l'hypocrisie religieuse avec Tartuffe, les ronds de jambe de l'Ancien Régime avec Le Misanthrope, le féminisme avec Les Précieuses ridicules et le libertinage avec Dom Juan. Dans cette perspective, L'Avare ne serait que la peinture d'un bonhomme près de ses sous, se trémoussant pour faire rire. Le rire, espoir suprême et suprême pensée du public bourgeois toujours anxieux de ne pas s'ennuyer au théâtre !
A la vérité, il fallait beaucoup d'aveuglement - ou une bonne dose de mauvaise foi - pour ne voir en Molière qu'un amuseur. Parti de la farce, il est clair que, dès 1664, il se sert du rire comme d'une arme au service de quelque chose et contre quelqu'un. Avec les moyens qui sont les siens, et sont sans doute plus efficaces que tous les pamphlets, il dénonce inlassablement l'éducation donnée aux filles, la fausse science, l'intolérance religieuse et les scandales de la bonne société. Auteur engagé, Molière sera d'ailleurs censuré par le Pouvoir : Tartuffe interdit à deux reprises (en 1664 et en 1667) et Dom Juan interrompu à la quinzième représentation. Le cycle que l'on pourrait dire de dénonciation se clôt avec L'Avare, et ce fait mérite réflexion. Tout se passe comme si Molière avait pressenti que le pouvoir, lorsqu'il tomberait des mains des petits marquis, serait récupéré par les hommes d'argent. Harpagon, sous ses ridicules, annonce le règne de la bourgeoisie et de la déification de la propriété. D'ailleurs, pour parler de sa « chère cassette » et de l'argent qu'elle contient, il emploie les mêmes mots que les dévots implorant la Vierge et les saints : « Puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie... ».


Et lorsqu'il réclame « des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux » pour ceux qui ont attenté au droit sacré de la propriété, on croirait (déjà) entendre Clemenceau, ministre de l'Intérieur et « premier flic de France », fulminer contre les viticulteurs du Midi, qui, en 1907, se soulevèrent contre leurs exploiteurs et contre lesquels les soldats du 17e de ligne, envoyés pour mater la révolte, refusèrent de tirer : « Le sang a coulé, il coulera davantage (...) Ceux qui m'embêtent et provoquent les soldats à la mutinerie, je les envoie en conseil de guerre, je les fais passer par les armes, Avez-vous compris ? » C'était en effet très clair. (...)


Claude Planson
In Revue de la Comédie Française, n°188 (mai 1983)

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