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Jojo au bord du monde

mise en scène Nino D'Introna

: Au-delà des mots

entretien réalisé par Blandine Dauvilaire, journaliste, en novembre 2006

Pourquoi avez-vous choisi de mettre en scène ce texte ?


Nino D’Introna : Parce que Stéphane Jaubertie est un auteur inspiré et que cette histoire me touche infiniment. Dans Jojo…, je retrouve son urgence d’écrire, de parler de l’âme de l’homme et des contradictions de l’humanité. Stéphane est l’un des rares auteurs capables d’une écriture intergénérationnelle, qui touche profondément les adultes comme les enfants.


Il y a un air de famille avec Yaël Tautavel ou l’enfance de l’art.


Je pense que Jojo est la continuité d’âge de Yaël. Mais autant Yaël est un enfant bavard, autant Jojo entre dans la préadolescence et parle un peu moins. C’est un personnage plutôt à l’écoute, qui regarde les choses. On retrouve également un discours initiatique, et cette idée de l’amour un peu cynique, très tendre et comique à la fois. A travers Yaël et Jojo, c’est Stéphane qui parle de lui, il y a donc forcément une similitude entre les deux textes.


Comment envisagez-vous la mise en scène ?


Ce texte m’a tout de suite inspiré au niveau visuel. J’ai senti que je pouvais faire quelque chose qui mette en alerte tous les sens du spectateur. Cette fois, j’aborde la mise en scène en partant du personnage que je considère peut-être comme le plus important, à savoir la grand-mère. Pour incarner ce personnage tellement beau, étrange, grinçant et tendre à la fois, il me fallait une comédienne d’un certain âge, empreinte de magie et de fantaisie, une sorte de fée-sorcière. Voilà pourquoi j’ai choisi Chris Sam.


Elle ne faisait pas partie de votre précédente équipe de comédiens.


Non, et cela m’oblige à remettre des choses en jeux. C’est une façon d’affirmer une fois de plus cette idée d’un théâtre nouvelle génération. Parce qu’un centre dramatique national qui fait des créations ne doit pas se refermer sur lui-même, il doit prendre des risques. J’ai donc choisi huit nouveaux comédiens.


Comment imaginez-vous le personnage de Jojo ?


Puisque cette histoire peut se passer à New York, en Afrique ou en Inde, il faut que cet enfant ait une dimension universelle. Pourquoi ne pas choisir un comédien indien, asiatique ou noir ? Je suis parti sur cette piste, avec l’idée que le personnage de Jojo rend le monde encore plus grand.


A la lecture de la pièce, on a le sentiment que ce que vit Jojo n’est peut-être qu’un songe, une parenthèse…


Effectivement, on peut penser que Jojo est pris d’une sorte de vertige, que sa tête est peuplée de cauchemars, d’hallucinations visuelles. Cet aspect fantasque et féerique de la pièce, se prête assez bien à l’usage de la vidéo. Si je m’en sers, il faudra que ce soit justifié d’un point de vue dramaturgique et que ce soit autant théâtral que le reste. Mais il est vrai que deux images très fortes nous ramènent à l’idée de la parenthèse dans la pièce : le début, où Jojo est assis avec son ballon dégonflé, le regard perdu dans le vide, et la fin où il shoote dans son ballon. Exactement comme un jeune footballeur, sur le terrain, qui fixe la cage vide puis essaie de marquer un but. Ce serait beau que la cage vide soit devant lui. Que l’on sente qu’il a déjà l’idée de shooter dans le ballon, qu’en réalité tout commence là, dans l’interrogation de ce jeune qui s’ennuie. Entre la première et la dernière scène se dessine un fil rouge, une possible trajectoire du ballon, qui est essentielle d’un point de vue dramaturgique. Si j’adopte ce point de vue là, cela signifie que tout le reste est une parenthèse, et que je vais la traiter en tant que telle. Cela justifie de la rendre complètement folle, tout en étant cohérente au niveau du langage. Et c’est là que j’ai décidé d’introduire un nouvel élément qui est la danse. J’ai déjà l’habitude de faire bouger les corps des comédiens de façon chorégraphique sur le plateau. Mais cette fois, je veux aller plus loin. C’est intuitif, j’ai le sentiment que la danse va apporter beaucoup.


Jusqu’à quel point sera-t-elle présente ? J’ai envie d’amener tout de suite la dimension féerique de cette pièce, en faisant de l’arrivée des deux fées une danse collective, où l’on pourrait apercevoir déjà des personnages que l’on retrouvera plus tard. Que ces personnages arrivent comme une invasion dans la tête de Jojo. Comme des fantasmes qui défilent. Ce serait des images fortes qui feraient perdre ses repères au public. Il faudra de temps en temps que le spectacle rebondisse avec cette invasion, qui s’empare du plateau, puis disparaît pour laisser place à une autre scène. Voilà pourquoi j’ai demandé au chorégraphe Mourad Merzouki de collaborer à cette création.


Et les costumes ?


Je pense qu’il faut suivre les indications qui viennent du texte. Que l’imaginaire existe au moins dans les costumes. Quand on voit Blanche-Neige, on voit l’archétype de Blanche-Neige, idem pour Batman, il faut qu’ils soient comme au cinéma, d’une perfection incroyable, afin de créer le doute chez le spectateur, du début à la fin. C’est ça la force du théâtre. J’ai décidé une nouvelle fois de confier cette tâche à Robin Chemin. Pour la scénographie, je vais collaborer avec Charles Rios, et pour les lumières, ce sera Andrea Abbatangelo, deux précieux complices.


Il y a une vraie fluidité dans cette pièce qui nous fait glisser d’un monde à un autre, du réel à l’imaginaire, de l’intérieur à l’extérieur…


C’est cette fluidité qui m’a donné l’idée de fluidité dans les corps et dans la musique. L’idée qu’il faut peut-être amener une sorte de sagesse orientale sur le plateau, qui conduira à l’épanouissement intérieur. Les pauses dans lesquelles Jojo se retrouve avec cette femme assise en fauteuil roulant, apportent forcément un grand calme. J’aime les changements de lieux de cette pièce, le fait qu’on aille dans le coeur de Jojo, c’est une idée géniale.


C’est aussi un défi énorme. Comment faire ressentir aux spectateurs que l’on est dans le coeur de quelqu’un ?


Il va y avoir un gros travail d’interprétation, car ce sont des scènes fondamentales. Bien sûr, on peut être dans la simplicité extrême, avec un plateau vide. Mais on peut aussi être dans une forme esthétique bien plus suggestive, qui donne au public la lecture d’un coeur. Quel que soit le choix, le coeur doit être un contraste qui surprend le public. Si le plateau est plein, il faut trouver le moyen de le rendre vide. A l’inverse, le coeur peut être représenté de façon plus baroque, en travaillant avec de la vidéo. On peut même aller jusqu’à voir le muscle palpiter lorsque le personnage va dans le coeur de Jojo. Ça me paraît intéressant.


C’est donc une pièce à coeur ouvert…


Dans un monde apparemment plein (surtout d’espaces vides) et où l’on manque cruellement de repères, les enfants comme les adultes ont l’illusion d’être entourés, alors que leur coeur est vide quand même. La pièce nous rappelle cette réalité et nous demande tout simplement : « où est ton coeur ? ».

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