: L'Adaptation
Dans sa traduction française, le roman
qu’Hans Fallada écrivit en 1947 ne
comporte pas de point d’interrogation. La
présence de ce point d’interrogation dans
le titre de cette version théâtrale constitue
un premier acte fort d’adaptation.
Rappelons brièvement que ce roman,
salué unanimement (Primo Levi en tête)
comme une des fresques les plus
bouleversantes sur la vie quotidienne en
Allemagne durant le régime nazi, nous
présente les « aventures » sinistres et
dérisoires des habitants d’un immeuble de
Berlin.
Parmi ces habitants, l’adaptation théâtrale
ne retiendra qu’un couple: Otto et Anna
Quangel. Couple sans histoire, sans
passion intime ou politique. Un couple
donc, qui vit au rythme des nouvelles du
front envoyées par un fils qui bientôt
n’écrira plus !
C’est l’histoire de ce couple qui sera
portée sur scène ; une scène qui rythmera
le lent enfermement tragique de ces héros
qui s’ignorent, de ces résistants modestes
et peut-être dérisoires.
Les Quangel ne vont rejoindre aucune
armée de l’ombre. Ils ne cherchent même
pas à savoir si cette armée existe. Ils ne
prendront pas les armes et ne rejoindront
aucun maquis.
Assis à la table de leur cuisine, ils vont se
mettre à rédiger des cartes,
laborieusement, une par soir. Sur ces
cartes pas de mots trop grands pour eux,
mais le cri des restes d’une famille qui
pleure un fils mort pour rien, ou plutôt
pour la grandeur d’un Reich qui
lentement les détruit.
Ces modestes cartes, rédigées sur des
petits bouts de papier, les Quangel vont se
mettre à les distribuer dans des cages
d’escalier, à travers Berlin, espérant
toucher le coeur et peut-être la raison de
ceux qui, comme eux, se terrent et
attendent les jours meilleurs promis par
les Puissants.
Un point d’interrogation donc ! Sont-ils
les seuls à hurler leur détresse ?
Transposer cet immense roman sur la
scène, c’est se servir de la force
dramatique que nous apporte le plateau de
théâtre. Lentement, jour après jour, carte
après carte, un drame se noue dans une
cuisine. L’enfermement même de cette
cuisine illustre alors avec force le
caractère dérisoire et tragique de la
révolte des Quangel. C’est cette révolte
sourde et poignante qu’il s’agira
d’illustrer. Il restera un cri singulier qui
n’entend pas dédouaner un peuple de ses
fautes, encore moins relire une Histoire
qui ne retient plus que les héroïsmes
« hollywoodiens ». Non, le geste des
Quangel, espérons-le, trouvera au théâtre,
son plus bel écrin, celui d’une nuit où
chacun d’entre-nous a rendez-vous avec
sa soumission ou sa résignation.
René Fix
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