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Je parle à un homme qui ne tient pas en place

mise en scène Jacques Gamblin

: Entretien avec Jacques Gamblin

propos recueillis par Pierre Notte

Je parle à un homme qui ne tient pas en place... est-ce un portrait de lui ? Ou un portrait de vous ?


Ce n’est un portrait ni de lui ni de moi, c’est l’un et l’autre à un instant T de ce que nous vivons en parallèle. Un instant de nos vies de passions, de nos sensations, de nos un mental fébrile, un muscle émotions. Deux hommes se parlent vrai, se mettent à nu. L’un comme l’autre, nous ne tenons pas en place. Lui sur l’eau, moi sur des plateaux, lui en mer, moi sur terre.


C’est un dialogue pour deux solitudes ?


Dans ce voyage, deux solitaires ou plutôt deux solistes se parlent en s’écrivant. C’est dans cette distance qui nous sépare, cette distance d’eau salée, dans ce silence ou plutôt dans ce vacarme silencieux, dans le vacarme de la vitesse, dans ce silence de l’incertitude que des choses importantes vont se dire, se dévoiler toutes voiles dehors.


Comment vous êtes-vous rencontrés, Coville et vous ?


Notre première rencontre a lieu sur son bateau lors d’une courte course à laquelle il me convie. Environ 36 heures qui me laissent appréhender le bonhomme et le gigantisme du trimaran de 31 mètres de long doté d’un mât de 35 mètres. Cette catégorie s’appelle les Ultimes, Toi qui ne pourras raconter que on est dans l’extrême. Nous sympathisons et découvrons que nous sommes voisins sur les terres bretonnes. Nous nous revoyons plus tard, courons ensemble, roulons ensemble, parlons ensemble.


Êtes vous nostalgique de ces instants passés en mer ? La mer vous manque-t-elle ?


Je ne suis pas nostalgique de ce moment sur le bateau car il a trouvé des prolongations et par nature je suis loin de la nostalgie. Ça me paraît toujours un peu inutile, un peu triste et vain, la nostalgie. La mer me manque dès que je m’en éloigne, je suis né au bord et j’habite au bord. Et la scène, c’est mon deuxième océan. J’y passe quand même de nombreuses heures en solo ou accompagné.


Peut-on parler de lettres d’amour ? Quel est cet amour ?


Je ne sais pas répondre à cette question. Bien sûr qu’il y a de l’amour dans cette relation. Je lui dis que je l’aime à cet homme-là. Je dis je t’aime à certains de mes amis. Il peut y avoir de l’amour dans l’amitié. De toute façon ni l’amitié ni l’amour n’ont de définition. Ils n’ont que des sensations. Je ne sais pas où sont les frontières à tout ça, à part la vérité. Je me fous des frontières et des définitions, elles sont toujours réductrices pour ne pas dire réductristes. Je ne cherche que de la vérité, elle est dangereuse, fragile, elle se cache parfois mais on la débusque, c’est excitant et même joyeux. Et au théâtre, par principe, cette vérité devient cul et chemise avec la fiction sinon c’est raté. C’est un dialogue d’homme à homme, j’ai presque envie de dire les yeux dans les yeux. Sauf que nous nous disons probablement plus de choses avec la distance comme paravent. C’est cette parole proche à distance que j’ai eu envie de partager avec le public. Une belle histoire avec ses rebonds et ses imprévus. J’ai pris certains risques et c’est bon ça ! Ils sont tangibles. Je pense qu’il faut toujours tenter de l’impossible. C’est fait pour ça l’impossible, non ?


Le sujet alors, c’est l’amitié, une amitié fraternelle...


C’est une amitié naissante et qui se développe au fil des milles nautiques parcourus par l’un et des kilomètres parcourus par l’autre avec les mots qui font la jonction. C’est un voyage interne-externe. C’est un suspense. Va-t-il réussir son pari planétaire ? Que vont-ils se dire ? Que va t-il lui écrire dans pareilles circonstances ? Que va-t-il répondre ? Jusqu’où vont-ils aller dans cette exploration de l’un et l’autre, l’un pour l’autre ? Un échange avec le silence et d’un seul coup un grand bruit. Ce sont ces magnifiques images de Pierre Nouvel qui nous embarquent, nous sortent de l’intime pour un grand voyage. On est emporté, on n’est plus là, on est avec l’autre là-bas au loin dans le nulle part, dans l’effroi, la peur parce que le son de Lucas Lelièvre nous prend par le ventre.


Et alors on s’approche, sans savoir comment, de ce que vivent ces hommes d’exception et puis on revient à la maison, au théâtre de la maison, je veux dire chez nous, dans la chaleur du foyer, dans la chaleur de l’instant. Pour écrire de la terre des phrases qui vont peut-être soutenir, comprendre, accompagner l’improbable. Et puis ça danse, encore, un peu, pour s’alléger de la distance et du silence, pour sourire et rire, pour s’alléger de tout.


Le spectacle vous a-t-il transformé, vous-même ?


Ce spectacle est une surprise pour moi. Il m’a pris, m’a surpris. Il m’a tapé sur l’épaule et m’a entraîné dans le sillage. Et maintenant je le remercie. Il m’offre le beau voyage dont je rêvais. La nudité sans impudeur, le dévoilement souriant, la bonne glisse et le courage de la relation. Je n’ai aucun doute, c’est un spectacle profond et profondément joyeux. Parce qu’au-delà des échecs, il y a un amour fou et une confiance folle pour la peau humaine. Alors la légèreté s’invite, l’aérien, l’homme est plus léger à poil et avec le temps qui passe aussi, il peut être plus léger, il essaye, c’est le but non ?

Pierre Notte

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