theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Isabelle 100 visages »

Isabelle 100 visages

+ d'infos sur le texte de Aurélie Namur
mise en scène Félicie Artaud

: Notes d'écriture

Genèse


Interpellée par l'image négative de l'Islam en occident, je cherchais à écrire depuis deux ans le portrait d’une jeune européenne qui embrasse la foi islamique. J’ai débuté l’écriture investiguant les mosquées et Internet afin de me documenter sur la multiplicité des pratiques musulmanes. Mon propos n’était ni de dénoncer l’islamisme radical ou l’athéisme fondamentaliste ni de faire l’apologie des religions mais de dresser le portrait d’une jeune femme en quête identitaire pour rendre compte d’un autre visage de l’Islam. Au cours de l’écriture, j’ai buté contre une série de pièges qui me menèrent à cette conclusion: la thématique étant « brûlante », mon fil narratif a un spectre trop large et suscite un débat peu éloigné de la dichotomie des débats médiatiques que je souhaitais dénoncer : il me fallait opérer à distance.


Isabelle Eberhardt


Dans les rayonnages de la bibliothèque de mon enfance, il y a « Isabelle Eberhardt ». A la fois aventurière, journaliste de guerre, convertie à l’islam, parcourant le désert algérien habillée en homme, dénonçant le système colonial du XIXème siècle, elle a donné lieu à une abondante mythologie. Je n’aurais jamais songé à faire d’elle un portrait car je trouvais qu’il y avait quelque chose certes de fascinant, en sa personne, trop ancré dans son époque, et surtout, trop romantique (la « petite soeur de Rimbaud » trouva la mort tragiquement à 27 ans dans la crue d’un oued). Mais il se trouve qu’elle a la particularité d’avoir réussi, à travers elle et à travers son aventure, à réconcilier ce qu’on dit inconciliable : l’orient et l’occident. Elle a refusé ce que Marcuse appelle l’« l’homme unidimensionnel » notamment en revêtant plusieurs identités qui lui ont permis d’explorer les contrastes de ce monde, des bas-fonds aux confréries soufies. Plus encore, elle est parvenue à conjuguer les fondamentaux de deux civilisations : elle conservera sa liberté individuelle, se pensant comme sujet autonome (fondamentaux de l’occident) et refusant une soumission quelle qu’elle soit, tout en se fondant dans la société musulmane au point d’être considérée comme l’une des leurs. Cent ans après, elle est encore cette héroïne subversive et terriblement contemporaine, qui brouille les codes et les représentations.


La radicalité d’une vie


Plutôt que de faire la énième biographie de cette figure atypique, j’ai choisi de dresser son portrait en me posant toujours la question en filigrane : qu’est ce qui fabrique un destin exceptionnel ? Comment en vient-­on à vivre une destinée hors norme ? « Mettre en fiction » ce personnage historique, ce n’est pas seulement développer certains faits et gestes, c’est aussi combler les trous de l’Histoire, m’arrêter sur ce qui me parait pertinent dans le paysage socioculturel actuel, et dessiner une trajectoire spirituelle et poétique. J'essaie de rendre compte de la radicalité de sa démarche, de son goût de la liberté et de la justice, de sa manière de vivre en faisant fi des clichés, des usages, de la ségrégation coloniale.


De ces choix découlent des libertés. J’invente le jour de sa naissance, le jour où elle entend pour la première fois le mot « Algérie », j'imagine ses tractations pour obtenir des papiers, je fusionne des personnages, trace des lignes poétiques. Je choisis ce qui raisonne aujourd’hui car sa vie répond, à sa manière libre et fervente, aux interrogations de notre temps. Ce texte est plus qu’une invitation à l’Orient : l’invitation à nous décentrer, enfin.

Aurélie Namur

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.