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Homme pour homme

mise en scène Clément Poirée

: Note d’intention

« Galy Gay vient juste de sortir de chez lui pour aller chercher un poisson et voilà qu’il tombe sur des soldats ceux-ci ont perdu le quatrième membre de leur patrouille en pillant une pagode. Ils leur faut le plus vite possible un remplaçant pour échapper à l’ire de leur supérieur, le terrible Quinte de sang. Galy Gay est un homme qui ne sait pas dire non. Il suit donc les trois gaillards. Peu à peu il adopte les vêtements, les pensées, les attitudes que doit avoir un homme en guerre ; il sera entièrement démonté/remonté et il deviendra finalement un guerrier redouté.


Homme pour homme, c’est l’individu mis en abîme.
À la lecture de cette fable, on est pris de vertige, le même vertige que celui qu’éprouve Galy Gay devant son propre cercueil : Et si “Je” était une fiction ? Et si un homme, ce n’était qu’une page blanche sur laquelle on peut, à loisir, effacer l’identité et redessiner un nouveau personnage ?


“Ne te fatigue pas à épeler ton nom. À quoi bon ?
Puisqu’il ne sert jamais qu’à en nommer un autre.”
Chante la veuve Begbick.


L’occasion nous est ici offerte de s’attaquer à la dernière grande illusion : le sujet inaltérable, l’indivisible individu. Que reste-t-il d’un homme quand on lui retire son histoire, ses proches et jusqu’à son nom ? “Je” est alors un autre. Galy Gay, l’insouciant, devient Jereiah Jip, le chien de guerre.


Est-ce le fait des machinations de trois bidasses qui, de retour d’une nuit de beuverie monumentale doivent couvrir leurs méfaits, en remplaçant l’un des leurs, resté piteusement coincé lors de l’une de leurs frasques ? En partie seulement. Brecht lui-même nous avertit :
“À notre grande surprise Galy Gay, notre contemporain, se défend qu’on fasse de son cas une tragédie, il gagne à cette intervention matérielle dans la substance de son âme et, une fois l’opération terminée, il se déclare en parfaite santé.”


Homme pour homme n’est pas l’histoire d’un lavage de cerveau. Galy Gay prend seul l’initiative de ne plus répondre à son nom ; il ne se reconnaît plus.
Il y a un mystère plus profond : ne sommes-nous pas des êtres successifs comme le pense Proust ? Des êtres en perpétuelle mue, qui, comme les serpents regardent leur ancienne peau sans plus la reconnaître ? L’être échappe à son propre masque pour s’en forger aussitôt un nouveau. D’une identité à l’autre, de deuil en deuil se dessine une trajectoire, un geste, un tracé.


Je pense au dessin à main levée où à chaque instant le crayon peut prendre une direction différente et donner un caractère tout à fait autre à la figure représentée. À chaque hésitation de la mine du crayon, un monde de possibles s’ouvre. C’est le travail théâtral que nous devons accomplir : repartir de la page blanche y laisser s’y imprimer les différents gestes de la fable qui doivent avoir l’éclat des couleurs du peintre, et seulement alors, regarder le dessin tracé. Ce sera notre postulat scénographique : un espace-atelier de papiers où tout se modifie et s’anime instant par instant. Les lieux se peignent et s’effacent grâce au travail de la vidéo, se façonnent et se déplient comme autant d’origamis.


Être, c’est devenir. En dehors de ce mouvement – la métamorphose – tout n’est que fiction. Il nous faut observer ce qui reste d’un homme quand on le déleste de son identité fictive. Est-il livré tout entier à ses appétits ?


Brecht nous livre une pièce-laboratoire où ce qui fonde l’identité n’y est que représentation, un spectacle où l’acteur est défini par son rôle. C’est une invitation à user de toute la liberté que nous offre le théâtre pour mettre à l’épreuve le monde avec légèreté et gaieté. »

Clément Poirée

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