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Histoire d'amour

mise en scène Juan Carlos Zagal

: Entretien avec Zagal

Propos recueillis par Pierre Notte, traduction de Meri Picq-Gomez

Comment le texte de Régis Jauffret Histoire d’amour s’est-il imposé à vous ?


C’était pendant une tournée en France en 2004. Nous présentions la pièce de Jésus Betz, tirée de la B.D de Fred Bergman et François Roca. À ce moment-là notre compagnie était La Troppa. C’était ma dernière tournée. Puis la compagnie s’est séparée et nous avons créé avec Laura notre compagnie actuelle Teatrocinema. Nous présentions cette pièce dans un théâtre du sud de Paris, et la production nous louait un appartement. Nous y avons trouvé les affaires du propriétaire… et ses livres. J’ai l’habitude de lire pour apprendre le français. Au début je lisais Libération, dans une brasserie, avec un café, une cigarette et mon dictionnaire espagnol-français. Plus tard j’ai commencé à lire des romans. Dans cette recherche, et dans l’appartement loué, en regardant dans sa petite bibliothèque, je suis tombé sur un livre avec un titre court et direct : Histoire d’amour de Régis Jauffret. J’ai lu au dos du livre le bref résumé où l’on accuse le protagoniste de viol, puis le premier paragraphe qui parle de la rencontre dans le métro et de l’homme convaincu que cette inconnue sera sa femme…


Une histoire d’amour, de viol, de domination… Qu’est-ce que c’était ?


Je me suis plongé dans la lecture, le dictionnaire à côté de moi, et à la fin j’étais choqué. Une histoire d’amour qui dévoile les psychopathies sexuelles de personnages psychologiquement très complexes, qui tombent dans l’abîme de leurs passions, de leur autodestruction et cependant, pour le personnage masculin, tout se fait par amour… J’ai acheté le livre et il m’a accompagné en silence chez moi à Santiago. L’histoire me revenait toujours, comme un rêve qui se répète. En 2011, après beaucoup de doutes et de questionnements, je me suis décidé à créer une pièce à partir du roman, à me plonger dans les personnages de Jauffret, les accepter et vivre avec eux leur folle et fébrile existence, en acceptant le défi de fouiller dans le monde secret de la sexualité de ce couple spécial, très spécial.


Est-ce pour vous un fait divers, une épopée tragique, un conte fantastique, un poème ?


Je pense que c’est une tragédie, une tragédie contemporaine, sans la présence de dieux manipulateurs de volontés. Une tragédie de héros-êtres isolés, désolés, accablés, abandonnés dans nos grandes villes labyrinthiques, monstrueuses et impersonnelles, dont le destin s’écrit jour après jour avec des petites décisions qui canalisent leur existence pas à pas, sans se douter que ces actions les mèneront à construire des murs qui rendront l’issue impossible. Par contre, ils tomberont vers des abîmes d’obscurité, entraînant tout ce qu’ils ont accumulé et attiré vers eux. Ils vivront et disparaîtront anonymement, à plusieurs reprises.


Comment l’anecdote pourra-t-elle prendre une forme universelle ?


Brièvement et indépendamment des races, des langues et des nationalités… Nous sommes à la recherche de l’amour depuis notre naissance. Nous cherchons de la compagnie, à partager notre vie. Nous essayons de pratiquer, de comprendre et de faire évoluer notre sexualité, ce qui nous demande une énergie fantastique. Nous avons décidé de vivre dans des villes où l’on trouve et l’on perd le sens de la vie avec une facilité extraordinaire. Cette bipolarité quotidienne nous fait passer de la lumière à l’obscurité en un instant, être monstres ou humains avec une totale « normalité » pleine de contrastes. Et enfin je crois que nous sommes tous un peu voyeurs, et qu’on adore qu’on nous raconte toutes sortes d’histoires. Nous adorons sortir de nous-mêmes et entrer dans le monde des autres.


Vous transformez le plateau en une planche de bande dessinée en 3D. Travaillez-vous comme des inventeurs, des ingénieurs de l’image scénique ?


En tant que compagnie, nous cherchons l’expérimentation dans la mise en scène. Dans notre labeur théâtral, nous avons essayé de mélanger plusieurs langages : théâtre, musique, cinéma, bande dessinée, littérature, pour inviter le spectateur à vivre une expérience intellectuelle et sensorielle. Pour nous, ce que disent les personnages est très important. Ce qu’ils font, et aussi très important : comment ils le font. La façon de raconter l’histoire est ce qui définit notre recherche et notre style : nous recherchons la poésie de l’action. La poésie de l’action, c’est ce qui essaye de relier ce que disent et ce que font les personnages avec l’histoire, le monde dans lequel ils habitent, en nous basant sur des associations libres, conscientes et inconscientes. Ces associations nous permettent de raconter scéniquement l’action en trois niveaux de lecture : le littéraire, le visuel, le symbolique.


Nous prétendons, comme beaucoup d’artistes, trouver l’équilibre entre la forme et le contenu, entre ce que font et ce que disent les acteurs. Et nous essayons d’inviter le spectateur à entendre l’histoire mais aussi à la voir. La littérature, la bande dessinée et le cinéma possèdent la capacité du voyage dans le temps et dans l’espace, instantanément. C’est bien cela que nous recherchons, mais, avec les acteurs en direct, et depuis la présence de leurs corps. C’est un jeu merveilleux pour nous finalement.


Est-ce que la forme doit être aussi puissante que le fond ? Ne se font-elles pas concurrence ?


Bien sûr, et c’est le spectateur qui décide par quel chemin il se laissera emmener. Rite super démocratique : « Mesdames, Messieurs, choisissez… ». Maintenant, si nous sommes intelligents et très travailleurs, nous réussirons à nous approcher d’un équilibre qui nous permettra d’aller et venir d’un point à l’autre avec fluidité et d’une façon très distrayante, presque hypnotique…


Régis Jauffret participe-t-il à votre travail ?


Bien sûr ! Il a écrit le roman qui nous a occupés pendant ces deux dernières années, c’est trop. « Merci beaucoup, Régis (en français dans le texte) ».

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