: Entretien avec Sylvain Maurice
Propos recueillis par Nicolas Laurent, octobre 2013
Histoire d'Ernesto, qu'est-ce que c'est ? En juin dernier j'ai mis en scène, dans le cadre des travaux de seconde année de l’Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette (ESNAM), une adaptation pour marionnettes de La Pluie d'été de Marguerite Duras. Nous avons inventé une version d'une heure environ qui garde les principales scènes du roman dialogué de Duras. Aujourd'hui, j'ai envie d'approfondir ce travail et d'en faire un spectacle à part entière intitulé Histoire d'Ernesto.
Quelles sont les marionnettes utilisées ?
Nous avons fait plusieurs tentatives avec Pascale Blaison, qui a réalisé les marionnettes. Dans un premier temps, nous avons un peu expérimenté toutes les techniques. Nous avons par exemple cherché à figurer le personnage d'Ernesto par une marionnette... ce qui s'est révélé une fausse piste. Dans la salle de répétition, il y avait des kokoschkas (marionnettes sans tête) construites par des élèves pour un cabaret. Cela a fonctionné tout de suite : des parents avec des petits corps et des têtes d'acteurs. Nous avons compris qu'à travers ce dispositif, nous trouvions une traduction concrète de l'imaginaire de l'auteur : des parents qui ont un fonctionnement très enfantin. La proposition s'est révélée juste, tant du point de vue des jeux d'échelles que de l'imaginaire : les parents sont vraiment petits, tandis que leur fils, Ernesto, a la taille normale d'un adulte. Le jeu d'échelle (la petite marionnette) permet de rendre concrète la métaphore... ainsi que la fantaisie du texte. Ces confrontations de personnages de tailles différentes révèlent la légèreté, l'humour – voire le burlesque – de certaines situations.
Il y a dans ta proposition d'autres jeux d'échelles, comme la grosse tête de l'instituteur...
Oui. L'instituteur a littéralement la « grosse tête » : il est bardé de son savoir. Donc nous avons choisi de le faire figurer par une très grosse tête, d'une taille de quinze à vingt fois plus grosse qu'une tête normale. Cette grosse tête raconte qu'il est savant, mais aussi à quel point sa vie lui pèse. Elle est comme un poids très important sur un corps ramené à deux jambes : c'est pourquoi quand l'instituteur – c'est Duras qui l'indique – chante Allo, maman bobo de Souchon, on voit toute la mélancolie qui hante le personnage.
Ernesto, dans ta proposition, est joué tour à tour par les différents acteurs-marionnettistes. Pourquoi avoir choisi une solution chorale pour Ernesto ?
Ernesto est un enfant qui est habité par des pensées
très anciennes, celles du livre brûlé trouvé
dans une veille maison. Le temps le traverse : au
début, c'est un enfant analphabète, inadapté, attardé
peut-être. La découverte du livre va le faire
grandir. Tout au long de la fable, il ne va cesser
d'évoluer, de bouger, jusqu'à devenir professeur
des universités... Il est donc très juste que ce personnage
kaléïscopique soit joué par des acteurs/
actrices différents, qui en sont comme autant de
représentations.
Cette proposition chorale permet également de
faire des aller-retours avec les passages narratifs
et les passages joués. On pourrait imaginer que
ce sont les « brothers et sisters » d'Ernesto
(selon les mots de Duras) qui racontent cette
histoire. Le choeur est à la fois juste d'un point
de vue narratif mais également du point de vue
de l'imaginaire : j'ai été très troublé au début de
l'atelier par la jeunesse physique des élèves.
Cette histoire « d'adulescent », à la fois enfant,
adolescent et adulte, elle les concerne très directement.
Ernesto est joué de façon chorale, sauf à la fin de la pièce où il est figuré à travers une grande marionnette, comme un Giacometti naïf ou enfantin.
Oui. A la fin, Ernesto part de Vitry. La métamorphose de l'enfant à l'adulte s'est réalisée : on peut enfin le représenter. Mais on le met en scène sous la forme d'une présence muette : ce qu'il est devenu doit faire question. Il est comme un totem... Il échappe encore... Il fuit...
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