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Haute-Autriche

+ d'infos sur le texte de Franz Xaver Kroetz traduit par Claude Yersin
mise en scène Olivier Jeannelle

: Un point de vue

« L’existence détermine la conscience », voici un principe marxiste que Kroetz ne renierait surement pas. Ses personnages sont souvent prisonniers d’un environnement qui les oppressent. Ils ressemblent à des figurines coincées dans ces désuètes boules à neige qu’on ramène de vacances. Mais le décor y serait sombre et la neige aurait fondue en une pluie grise. Heinz et Anni s’aiment. La question même ne se pose pas. La morale sous laquelle ils ont placé leur mariage en a décidé pour eux et pour la vie. Les questions qu’ils sont en droit de se poser sont limitées par ce cadre moral que circonscrit l’Eglise, et la communauté provinciale à laquelle ils appartiennent. Pour le meilleur et pour le pire, ils fondent cette cellule familiale sur laquelle la société bourgeoise se fonde. Honnêtes travailleurs, consommateurs fiables (si possibles à crédit), respectueux particulièrement dociles de la morale, des traditions, et de la répartition en classes… Comme chacun, Anni et Heinz cherchent les moyens qui permettraient de « s’en sortir ». Ils essayent, tout en sauvant les apparences, de mener leur barque le mieux possible. Mais que veut dire « le mieux possible » ?


Dans une ville où tout le monde sait tout? Dans un système économique où toute promotion est dure, lente, toujours menacée d’un accident de parcours ? Par un enfant venu trop tôt ?


Montrer cela pour Kroetz, c’est moins critiquer l’espèce ou les individus, que critiquer des rouages sociaux, des situations créées par une manière de concevoir l’état du monde, des mentalités engendrées par la routine d’un système où tout devient cliché, impasse, affrontement, solitude…


Kroetz n’analyse pas, mais il intensifie les situations qu’il décrit au point que l’analyse s’impose d’elle-même. Ainsi, la question posée apparaît entre les lignes : que seraient ces êtres dans un monde différent, libéré de l’emprise des forces de l’argent, de l’agencement pyramidal d’une société sans cesse plus avilissante, où l’être humain sert encore et de façon asphyxiante, de variable d’ajustement, un monde capable de donner à tous des responsabilités plus claires, plus ouvertes, plus généreuses que celle de l’obsession de la survie, envers et contre tout, tous et parfois soi-même ? Un monde où les Hommes auraient le temps de se consacrer à des choses aussi inutiles que l’art, la littérature, l’Histoire, ou la pêche et les échecs…


Avec Haute-Autriche, en 1973, Kroetz amorce une évolution dans sa production dramaturgique. Abandonnant les franges de la société, les personnages marginaux et les cas extrêmes, il décide de s’intéresser à « la moyenne des gens », il se met à la recherche d’une expression plus « politiquement et économiquement fondée ». Ces combats quotidiens, il les livre sous la forme d’une comédie noire.
Le rire ici, s’immisce dans la précision de la réalité, dans la dureté des situations, dans le tragique de la vie sans perspectives. Le rire ne condamne pas les personnages. Il permet de supporter l’insupportable, d’éclairer les rapports par une « distance », de porter un regard sur ce qui rend les actions grotesques ou pitoyables ou méprisables.


Il s’agit de trouver dans le travail de mise en scène, un double équilibre. D’une part, l’équilibre entre ce rire, et la réalité essentiellement dramatique dont il procède. Une réalité faite de contraintes, de conditionnement moral plus cruel qu’absurde, de tradition petite bourgeoise dans ce qu’elle a de dérisoire, de formalisme, d’inadapté aux solutions à trouver au regard des problématiques posées.


D’autre part, cette réalité, ce réalisme, cette justesse sociologique nourrie de détails extrêmement réalistes, sont confrontés sans cesse à une théâtralité, une franchise ou une subtilité des situations, un langage qui certes utilise des expressions courantes, les constructions de phrases populaires, mais dans une forme caractéristique, choisie, d’une certaine façon « distanciée » par la réalité. Ce double équilibre autorise une irruption du réel dans un espace théâtral relativement codifié qui fait la force de cette oeuvre d’un Kroetz en pleine maturité.

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