: Entretien avec Léna Paugam
Le spectacle Une Farouche Liberté est une commande. Pour quelles raisons l’avez-vous acceptée ?
En juin 2022, quand Philippine Pierre Brossolette m’a appelé pour me faire connaître son projet d’adaptation du livre Une Farouche Liberté, je n’ai pas hésité longtemps. J’ai accepté cette commande malgré la grande quantité de travail qui m’attendait cet automne (La création de ma mise en scène d’Ode Maritime de Pessoa a lieu à Guingamp le 29 septembre 2022, et celle de Pour un temps sois peu de Laurène Marx a lieu les 15 et 16 novembre 2022 au Festival TNB à Rennes).
Disons que je l’ai d’abord acceptée par curiosité et par défi. Jusqu’alors, je connaissais peu le parcours de
Gisèle Halimi. Juste après avoir lu Une Farouche liberté, j’ai répondu favorablement à la proposition de
Philippine et je me suis avidement plongée dans les autres ouvrages de Gisèle Halimi (Le Lait de l’Oranger,
Une Embellie perdue, Fritna, La cause des femmes, etc.). Avec passion, j’ai écouté les podcasts des émissions de
France Culture qui lui ont été consacrées, regardé documentaires et films de fiction. Je trouvais passionnante
l’idée de me confronter au fait de raconter le parcours de vie d’une grande figure du féminisme en acceptant
la contrainte de ne s’appuyer que sur ses paroles, mais il me fallait trouver la bonne distance vis-à-vis du sujet
proposé. Il ne s’agissait évidemment pas de faire d’en icône à célébrer inconditionnellement !
Je me suis
beaucoup intéressée à la manière de convoquer théâtralement les propos de Gisèle Halimi en suivant le fil
des entretiens avec Annick Cojean sans tomber dans l’écueil du biopic apologétique.
Je mène par ailleurs depuis plusieurs années un cycle de créations constitué autour de portraits de femmes modernes. Le public parisien a notamment pu découvrir en 2020 au théâtre de Belleville le spectacle Hedda, monologue de Sigrid Carré Lecoindre traitant de la question des violences faites aux femmes. Je ressens de plus en plus la nécessité de créer des spectacles qui abordent de façon critique la place de la femme dans la société contemporaine. Les engagements de Gisèle Halimi m’inspirent par leur ténacité et leur exigence de pensée, même s’il ne s’agit pas vraiment pour moi de composer une série de spectacles militants. Je m’attache au fait de raconter des histoires qui posent des problématiques complexes, sans éviter d’énoncer les paradoxes, sans craindre le débat et la réflexion critique.
Comment se compose l’adaptation théâtrale que vous allez faire jouer à La Scala ?
Philippine Pierre Brossolette m’a d’abord proposé une adaptation sur laquelle elle avait déjà travaillé avec la
dramaturge Agnès Harel. Elle prenait le parti de diviser la parole en deux voix, deux Gisèle Halimi, une jeune
et une âgée, incarnant tour à tour la figure de l’avocate racontant sa vie au spectateur. Au texte publié sous
le titre Une farouche liberté avait été adjoints plusieurs extraits d’interviews issus d’archives audiovisuelles.
J’ai demandé à Philippine de pouvoir retravailler entièrement l’adaptation tout en conservant le parti-pris
d’un récit porté par deux voix féminines et d’une dramaturgie reposant sur un jeu de collages.
J’ai choisi d’y amplifier la présence d’autres sources en m’appuyant sur diverses archives d’interviews
conservées notamment par l’INA. Je voulais m’appuyer sur l’extraordinaire oralité de Gisèle Halimi, qui était
une conteuse formidable de sa propre vie. Son sens du rythme, le choix précis de ses mots, sa diction parfaite,
sa voix posée doucement au service d’un propos limpide, me fascinent. Il me semble que c’est un appui
formidable pour le jeu théâtral. J’ai souhaité travailler sur une forme de théâtre-récit où le spectateur serait
conduit par la magie mystérieuse d’une narration à la première personne du singulier portée par deux voix
distinctes.
J’ai par ailleurs choisi de tirer deux fils conducteurs qui accompagnent l’écoute de l’histoire. Ces deux
thématiques apportent au récit une approche intime et poétique qui rend possible l’écoute sensible du
spectateur.
La figure de la mère de Gisèle Halimi initie et achève le récit porté par les comédiennes. « Ma mère aura été
la source de tous mes combats et ceci afin que les femmes ne lui ressemblent pas » raconte Gisèle Halimi. La
pièce suit le fil des entretiens d’Annick Cojean et de Gisèle Halimi publiés sous le titre Une farouche liberté.
Elle s’ouvre néanmoins sur un extrait du roman Fritna où Gisèle Halimi parle des relations qu’elle entretenait
avec sa mère. Dans notre spectacle, suivant le chapitrage proposé par Annick Cojean, assumant une
dramaturgie de biographie à la chronologie plus ou moins linéaire, se raconte le parcours d’une femme
devenant très progressivement la figure médiatique célébrée que l’on connaît aujourd’hui. Nous avons
souhaité rendre compte de la manière dont les évènements historiques rencontrés par Gisèle Halimi ont
forgé ses armes et sa pensée. Néanmoins, la figure maternelle peinte par Gisèle Halimi elle-même dans ses
écrits permet d’apercevoir en creux une autre femme, plus fragile. D’autre part, j’ai extrait de plusieurs
entretiens les propos qu’elle tenait sur son rapport à la mer. Avec pudeur et délicatesse, l’horizon maritime
de cette création ouvre dans cette mise en scène une voie vers une part plus secrète, non démonstrative, de
la féminité de Gisèle Halimi.
Comment souhaitez-vous travailler avec les comédiennes pour qu’elles interprètent l’une et l’autre le rôle de Gisèle Halimi ?
Le fait de travailler à diviser le rôle de Gisèle Halimi en deux parts équitables pour les comédiennes était une
imposante contrainte. Les deux comédiennes ont un parcours, un âge, un jeu tout à fait différent. J’ai souhaité
m’appuyer sur ces différences pour composer une partition qui ouvrirait l’horizon d’attente d’une
représentation de Gisèle Halimi en tant que personnage théâtral. Il ne s’agit pas pour moi de travailler à
incarner cette figure en imitant ses gestes, en portant ses costumes pour en donner l’illusion d’une
représentation parfaite. Je ne souhaite pas mettre en concurrence le jeu des interprètes du spectacle.
Très
vite, cette attente du spectateur est déjouée. Le public est invité à convoquer son imaginaire pour composer
lui-même sa représentation du personnage. Il s’agit de faire entendre les paroles de Gisèle Halimi en
s’appuyant sur la recherche d’une parole au présent, inventée pour et avec le spectateur. Chaque
comédienne aborde sa partition théâtrale avec sa propre sensibilité, sa propre histoire, son propre rapport
aux questions soulevées par le texte. Le portrait de ces intimités très pudiquement dévoilées apparait en
creux dans le spectacle.
Dans cette petite salle de La Scala, j’ai choisi de faire entendre le texte avec beaucoup de simplicité et de douceur. Le travail que je mène avec les comédiennes repose sur une attention pour le rythme de la parole, précise, mouvementée, vivante. Je les dirige avec le souci d’une économie d’effets de jeu. Je souhaite que la parole soit adressée au public avec une grande bienveillance, une ouverture qui laisse la place à chacun.
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