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Gilles ou qu'est-ce qu'un samouraï ?

Margaux Eskenazi ( Mise en scène ) , Gilles Deleuze ( Texte )


: Note d’intention

En écho à la pensée du rizhome de Deleuze et Guattari, j’ai écrit ce spectacle en rizhome : sans centre ni fondement, mais comme un dessin horizontal, acentré et sans mémoire organisatrice. Il est ouvert, tentaculaire et nomade. Il prend pour point de départ la conférence de Gilles Deleuze et une crise de foi, mais il ouvre aussi un dialogue avec Kurosawa, Villon, Shakespeare, des paysans japonais du 16ème siècle, des lignes de basses, Jean-Sébastien Bach et des spectateurs du XXIème siècle en pleine crise sanitaire.

Crise de foi, crise du covid


Avec la crise du covid vient une crise de foi. Celle qui pose la question du sens lié à notre pratique, à sa nécessité et à nos engagements : comment créer avec un « comme avant » impossible ?


Quels spectacles souhaite-t-on produire ? Quelles histoires voulons-nous raconter ? Quelles histoires avons-nous besoin d’entendre ?


Ces journées confinées ne nous laissent pas indemnes, intimement et professionnellement.


Aujourd’hui, au moment de l’écriture de cette note, nous sommes en pleine troisième vague, en re-confinement, en représentations annulées, en tragédies domestiques et en avenir bien flou.


Créant des spectacles depuis des années en lien avec ce que j’appellerai le « bruit du monde », faisant résonner les mémoires individuelles pour penser les identités collectives, je me suis trouvée au moment du premier confinement, bien en peine. Ce « bruit du monde » était chamboulé d’urgences sanitaires, de distanciations sociales, de précarité grandissante et de solitudes criantes.


Gilles Deleuze entre en jeu et pose la première pierre


Je me suis souvenue alors, de cette conférence que Gilles Deleuze a donnée le 17 mars 1987 à la Fémis : « Qu’est-ce que l’acte de création ? ». Soit, 33 ans jour pour jour, avant notre premier confinement.


Lorsque j’ai découvert cette conférence il y a dix ans déjà, j’avais tout de suite eu l’impression d’être face à quelque chose d’important. En mars dernier ce sentiment a dédoublé. Gilles Deleuze répondait à mes questions, m’en posait aussi et m’ouvrait des portes. Je cheminais avec lui sur des routes d’une vitalité sans borne entre Dostoïevski et Kurosawa, l’acte de résistance et l’acte de création.


Au printemps 2020, j’ai visionné en boucle cette conférence et puis je me suis mise à la retranscrire. Au fur et à mesure de la retranscription, je pensais au plateau. Je me suis dit qu’il y aurait un endroit de théâtre entre cette langue, mes réflexions et un acteur. Un acteur crépusculaire pour transmettre le mystère de Deleuze, son oralité, tout à la fois dense et vivace.


Les discussions confinées prolongent le travail


Je propose donc à Lazare Herson-Macarel de lire à voix haute la retranscription que j’ai faite de cette conférence. A ce moment-là, je lui confie mes doutes et questionnements du moment : je ne sais plus si et comment le théâtre peut répondre à cette nouvelle réalité, inconnue et soudaine. Cette question est d’autant plus surprenante pour moi que, depuis le début de ma vie de metteure en scène, je n’ai jamais douté de la nécessité et de la force du théâtre. Il était dans la mienne comme une doxa. Mais à ce moment-là, je traversais une crise de foi pleine et entière. Je ne savais plus du tout quel lien entretenir avec le plateau ni quelles histoires raconter.


Lazare m’écoute et me répond que pour lui, au contraire, la nécessité du théâtre n’a jamais été aussi claire et évidente. Il m’ouvre son imaginaire du moment, ses rêves de théâtre et des textes qui se bousculent sur son plateau intime : Oedipe-Roi et la peste qui s’abat sur Thèbes, François Villon et la grande majorité de son œuvre écrite en prison.


Au fur et à mesure de nos discussions, nous questionnons les narrations théâtrales passées, nous échafaudons des plans sur les récits à venir et les imaginaires en mouvement.


L’idée de faire de nos questions, nos errances et nos littératures intimes un spectacle devient de plus en plus nette.


Les matières de ce récit


Ce spectacle se pense comme un geste hybride. Il naviguera entre plusieurs théâtralités : performative, incarnée, musicale, poétique et cinématographique.


C’est ce kaléidoscope des théâtres qui fait l’objet du travail, où chacune des matières est une des réponses possibles, à cette question : Qu’est-ce que l’acte de création en temps de crise ?


Plus j’avançais dans l’écriture du spectacle, plus je me rendais compte qu’un des films cité par Deleuze lui-même dans la conférence était en parfait écho avec la situation que nous traversions : dans Les 7 samouraïs, en plein Japon médiéval, des samouraïs se demandent à quoi ils servent.


Nous sommes entrés dans le film, nous l’avons regardé et nous nous sommes laissés regarder par lui. Nous avons cherché son théâtre et nous l’avons accueilli sur notre plateau. Nous avons navigué entre lui et nous.


Nous avons discuté avec Kurosawa, comme nous avons discuté avec Deleuze, en se demandant ce que nous avions à nous dire, qu’elle était, pour reprendre l’expression de Deleuze lui-même : « notre affaire commune ».

Margaux Eskenazi, mai 2021

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