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Getting Attention

+ d'infos sur le texte de Martin Crimp traduit par Séverine Magois
mise en scène Christophe Rauck

: Présentation

Un immeuble de la banlieue londonienne.
Au rez-de-chaussée un jeune couple.
Carol est la mère d’une petite fille, Sharon.
Nick, son compagnon, vient juste d’emménager.
Au premier étage, Milly, la cinquantaine, vient de perdre son mari, suite à une longue maladie.
Juste à côté, Bob, sans emploi, vient d’être privé de la garderie de ses enfants par le service social.
Très vite, un drame va se dérouler dans l’ombre. Martin Crimp aura la délicatesse de ne jamais montrer l’inmontrable, mais par son talent et un habile procédé dramaturgique, il va nous suspendre tout au long de la pièce au bord du cauchemar.
Le centre de cette histoire, c’est ce que nous ne verrons jamais, pour mieux entendre ce que certains auraient dû avoir le courage de comprendre.
Juste un son, une lumière et l’effroi dans le dos !
Getting attention interroge le théâtre là où l’on ne s’y attend pas.


Christophe Rauck




Enfance perdue


Secret de Polichinelle


« Coups de fouet ou de ceinturon. À la moindre provocation de leur part, réelle ou imaginaire, leur père enfermait Roy ou Walt dans la remise et laissait libre cours à sa colère. Le soir, après une nouvelle correction, Walt allait se coucher en pleurant, incapable de trouver le sommeil. » Dans La Face cachée d’un prince d’Hollywood, Marc Eliot nous révèle un incroyable secret. Celui qui, de Blanche Neige à Pinocchio, avait passé une vie entière à offrir du rêve sur grand écran aux enfants de la planète, celui-là même avait été un enfant martyr. En maîtrisant dans son art l’outil de sa résilience, Walt Disney révélait n’avoir jamais oublié qu’il avait été une victime de la maltraitance. Comme des armes forgées depuis la nuit des temps pour faire face à la violence du monde, il s’était emparé des personnages des contes, qu’ils soient ogres ou fées, parents indignes ou monstres attentionnés, pour en faire les alliés des enfants. Et perpétuer, à travers un média du XXe siècle, la diffusion d’un message qui, de la tradition orale à celle des frères Grimm, avait fait de ces êtres de fiction, les seuls médiateurs capables de tisser des liens entre le monde de l’enfance et celui des adultes.


Des pierres sur le chemin


Dans Getting attention, Martin Crimp se penche avec pudeur sur le sort d’une enfant martyrisée. On sait la délicatesse du dramaturge, son goût du réel tout autant que son refus du verbiage et du moralisme. Aux longs réquisitoires policés, il préfère la légèreté allusive d’une approche impressionniste. Et comme le ferait le Petit Poucet, c’est en semant tout au long de son récit des indices, qu’il nous amène sur le chemin de la plus effroyable des vérités. Mais, il n’oublie jamais, puisque les histoires éternelles doivent s’adresser aussi bien aux petits qu’aux grands, d’insérer dans le réalisme cruel de ce qui pourrait ressembler à un reportage sur un fait divers, des éléments qui appartiennent à cet autre univers que seuls les enfants décryptent, ceux du conte.
Ainsi, pour désigner la maison où se déroule le drame, il choisit dès la première scène de la pièce, de convoquer une représentante de la société des adultes, une assistante sociale effectuant une enquête de voisinage sur la famille Mitchell. Mais il fait plus, il convoque aussi des masques, d’étranges personnages menaçants venus tout droit de l’imaginaire de nos frayeurs nocturnes. À leur manière et sans parvenir à se faire comprendre, eux aussi tentent d’attirer l’attention sur l’appartement où vit l’enfant maltraitée. Plus tard, partageant avec nous le secret de Disney, ces mêmes ombres fuyantes viendront tagger sur la façade de la maison une tête de Mickey, comme un signe de ralliement pour désigner un lieu où vivent des enfants maltraités.


Souffrance invisible


« Leur petite fille, on ne l’entend quasiment jamais, ce qui est une bénédiction. » Milly, la voisine de la famille, a lâché le mot sans arrière-pensée. Cette enfant silencieuse et prostrée était une bénédiction parce qu’elle ne se faisait pas remarquer. Dans cette banlieue ouvrière désocialisée par la misère, la présence d’un enfant qui n’aurait d’autres désirs que de vivre et d’apprendre, de découvrir et d’aimer, prendrait immédiatement des allures de provocation. Une gêne insupportable pour une communauté d’adultes en situation d’échec absolu. C’est précisément de la réalité de cette absence forcée de l’enfant, que Martin Crimp a choisi de nous parler. Il lui suffit d’une lumière qui s’allume dans la chambre de la recluse, ou de ce faible bruit, de cet infime grattement intermittent qui rappelle celui d’un oiseau piégé dans un conduit de cheminée, pour témoigner du calvaire de la petite Sharon. Entre les éléments réalistes témoignant de l’extrême banalité du mal et les traces de la fable, Christophe Rauck ne choisira pas : « Cette histoire nous concerne tous, car elle exprime une tragédie universelle. Pourtant, la pièce nous lance un véritable défi, en nous obligeant à avancer de front sur plusieurs niveaux de réalité. Rendre compte de cette histoire en tombant dans une trop grande abstraction serait une trahison ; la raconter d’une manière trop réaliste serait aussi une erreur qui pourrait amener le public à conclure qu’elle fait référence à une réalité sociale qui ne les concerne pas. En rendant Sharon invisible, Martin Crimp place le public dans la situation d’être le garant de l’existence de l’enfant. Et il nous faut alors progresser sur un fil pour placer les spectateurs dans une situation instable les emmenant à cette réceptivité maximale qui fera d’eux les seuls créateurs de la petite Sharon. »


Patrick Sourd

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