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Gardien Party

Mohamed El Khatib ( Conception ) , Valérie Mréjen ( Conception )


: « Les plus visibleset les plus ignorés »

Propos recueillis par Mélanie Drouère

Entretien avec Mohamed El Khatib et Valérie Mréjen

Comment le projet de Gardien Party est-il né?


Mohamed El Khatib et Valérie Mréjen : Il est né de l’envie de travailler ensemble. Après avoir vu et apprécié nos travaux respectifs, nous avons souhaité prolonger notre affinité par une expérience esthétique. Notre curiosité à l’égard des musées a rapidement constitué un terrain de recherche fécond pour poser la question du regard. Qui regarde quoi dans l’espace du musée ?


En quoi la parole de gardiennes et de gardiens de musées a-t-elle éveillé votre curiosité ?


M. E. K. : C’est un angle mort dans le dispositif muséal. Et, paradoxalement, ce sont les meilleurs observateurs de la vie de ces lieux d’exposition. Certains ont choisi cette situation, d’autres la subissent, mais tous développent un rapport singulier au monde de l’art, à la fois envers les œuvres et les visiteurs.


V. M. : Il se trouve que j’ai exercé ce job au château de Versailles lorsque j’étais étudiante. Cette expérience m’a marquée dans le rapport au temps et le sentiment de transparence qu’elle implique.


Comment avez-vous sélectionné les musées ?


M. E. K. et V. M. : Nous avons séjourné dans les musées des villes où nos projets nous ont menés pendant deux ans. La diversité des situations a guidé les rencontres. Le travail n’est pas le même selon que vous êtes dans une prestigieuse institution internationale ou dans un écomusée en milieu rural.


Quelles questions avez-vous posées à ces gardiennes et ces gardiens ?


M. E. K. et V. M. : Ce sont davantage des conversations au long cours qui permettent de comprendre la trajectoire des personnes rencontrées.


Comment sont-elles arrivées au musée et comment vivent-elles leur travail au quotidien ?

Comment avez-vous choisi celles et ceux que vous souhaitiez inviter à jouer sur scène ?


M. E. K. et V. M. : La diversité des situations professionnelles, des personnalités et des langues a guidé notre choix. Après, au-delà de leur « talent » de gardien, c’est leur curiosité et leur envie de faire confiance à des inconnus qui ont fait le reste.


Y a-t-il des rencontres, des situations ou expériences qui vous ont particulièrement marqués au cours de vos recherches ?


V. M. : Contrairement à Mohamed, qui a plutôt rencontré les agents sur place dans les musées pendant leurs horaires de travail, j’ai surtout vu les gens en dehors de leur lieu de travail, au café par exemple, après les avoir contactés via des connaissances communes. Je n’ai donc pas vraiment d’histoires liées aux situations, mais plutôt aux récits eux-mêmes. Ce qui revenait le plus souvent, je crois, était l’étonnement des agents face à notre envie de les rencontrer pour parler avec eux. Il y avait même une certaine appréhension, une timidité.


Pourquoi ce dispositif frontal, un tête-à-tête avec le public ?


M. E. K. et V. M. : L’idée est d’avoir une vraie proximité avec les agents et de les placer au centre du regard, de les sortir de leur retrait habituel. Les salles de musée sont plutôt des espaces de circulation. On peut quelquefois s’y asseoir pour contempler une œuvre plus longuement mais il est rare de rester sur place plus de quelques minutes. Nous avions envie de créer une situation inhabituelle aussi bien pour le public que pour les agents. Q


Quelle méthode avez-vous adoptée pour écrire à quatre mains ?


M. E. K. et V. M. : La même que pour cette interview. Nous sommes bien en peine de définir une méthode ou de savoir qui parle !


Comment envisagez-vous les répétitions avec des personnes de langues différentes ?


M. E. K. et V. M. : Cela oblige à une certaine économie de la parole et à une concentration accrue sur la présence. Dans les musées, cette question est omniprésente car les gardiens doivent répondre ou s’adresser à des visiteurs dont ils ne parlent pas toujours la langue.


Pourquoi tenez-vous à garder toutes les langues d’origine sur scène ?


M. E. K. et V. M. : Chaque expérience est singulière et la langue concrétise littéralement cela. Cela offre quelque chose d’à la fois intime, une langue maternelle, et constitue également une alternative à l’anglais « standard » communément appliqué dans l’ensemble des musées du monde.


Cette pièce est une exploration parallèle, de l’intérieur ou en coulisses, des musées. Quel en est l’enjeu pour le public ?


M. E. K. et V. M. : Il s’agit d’entendre une parole inédite de ceux qui, dans les musées, sont à la fois les plus visibles et les plus ignorés. En acceptant ce déplace-ment du regard, on s’offre la possibilité d’appréhender un autre rapport à l’art et à ses modalités de partage.


Qu’apprend-on de la « surveillance » ?


M. E. K. et V. M. : Le fait qu’il reste indispensable d’avoir de vrais humains pour veiller sur les œuvres et dissuader les visiteurs de leur envie de toucher. Que la fonction sécuritaire demeure marginale quand on considère les gardiens comme le système épi-dermique du musée. Ils sont là pour surveiller mais aussi pour créer du lien avec l’extérieur, même si ce lien reste souvent très infime. L’exercice symbolique de la surveillance n’est pas le même selon que vous surveillez un Matisse ou un parking.

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