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: Le Spectacle

UNE FEMME APPARAÎT BRUTALEMENT. Une femme qui écrit. Morceaux de feuilles, cahiers, agendas, carnets. Elle écrit sans retenue. Elle écrit tout. Par nécessité, pour se comprendre et comprendre les autres face à elle.


Il faut le dire encore : tous ces textes ont été rédigés par Marilyn Monroe.


On découvre sa conscience aiguë du monde. Une fragilité. Une fébrilité. Une femme très loin de l’asile, pas plus alcoolique que les hommes qui l’entouraient, pas plus suicidaire que tout un chacun doté d’un peu de lucidité.


Elle jette, cisèle parfois. Elle aime les métaphores. Fulgurances à propos de son histoire, de son travail, de ses amours, de sa psychanalyse. Elle fait, par ordre chronologique, un état de ses lieux intimes, explore la matière de ses pulsions à la recherche d’une vérité peut-être, de la réalité sans doute.


«Je trouve que la sincérité et être simple et directe comme (possiblement) j’aimerais est souvent pris pour de la pure stupidité. Mais puisqu’on n’est PAS dans un monde sincère -­ il est très probable qu’être sincère est stupide. On est probablement stupide d’être sincère puisque c’est dans ce monde et dans aucun autre monde dont nous soyons sûrs que nous existons -­ ce qui veut dire -­ (puisque la réalité existe, on doit faire avec) puisqu’il y a la réalité avec laquelle on doit faire je ne suis pas M.M -­‐ on ne me permet pas d’être»


Ce texte, c’est le début de la représentation.


Cela commence par un aveu, celui de la ‘star’ et le nôtre aussi en quelque sorte : personne ne peut - être - Marilyn. Elle n’existe pas. C’est une image, au mieux un personnage. De son vivant, un rôle. La blonde ne l’était pas, perdue entre cette fiction trop réelle et la réalité qu’elle ne pouvait oublier.


Devenir un mythe n’était qu’une façon de repousser la mort. Elle a fait de sa vanité une arme de survie. Les autres ne voyaient rien. Aujourd’hui elle est icône. Son image a gagné, la dépossédant d’elle-même. L’image partout a gagné. L’apparence est seule maîtresse et la défaite existentielle de M.M annonce étrangement celle de notre époque.


Ces fragments qui s’ajoutent et se complètent, nous tiennent dans un ‘no man’s land’. Entre Norma Jeane Baker et Marilyn Monroe. D’UN CÔTÉ LE RÉEL, DE L’AUTRE LA FICTION. Le réel c’est celui à partir duquel elle s’est construite, la fiction c’est ce qui lui a permis de vivre. Elle se trouve au milieu de ce ‘no man’s land’ donc. Ni enfant condamnée, ni femme réalisée. Par ses mots, on le sent, elle cherche à réduire cet espace.


On se dit alors que celui de la scène ne serait pas si mal.


Nous pouvons l’amener ici, à cette frontière. Près de ceux qui, comme nous, pensaient au fantasme plus qu’à la chair. La scène. Un lieu pour accueillir - la fiction ET la réalité. Un lieu où l’on peut exister sans savoir très bien qui on est. Un lieu pour se dédoubler. Un lieu où tout est vrai.


Nous y sommes. Sur le plateau. Avec ses mots à elle. Nous les posons le plus directement possible. Nous interpellons. Nous avouons son impuissance et la nôtre. Nous avouons ce qu’elle ne pouvait pas dire : «Je ne suis pas M.M»


Qui alors ?


Une comédienne, une actrice. Je crois que c’est la réponse la plus simple, celle qui rend justice aux mots qu’elle s’est obstinée à écrire et que nous pouvons lire comme une méthode. Un genre de méthode pour jouer et survivre. Le récit d’une comédienne partie dans la recherche effrénée de son point de gravité. FRAGMENTS EST LE PORTRAIT DE QUELQU’UN QUI JOUE.


M.M cite Lee Strasberg. «Entre l’acteur et le suicide, il n’y a que la concentration»


Entre l’acteur et le suicide, une distance aussi. Et sur scène nous la parcourons. Cette distance c’est du temps. Celui qu’il a fallu pour créer M.M, celui entre sa vie et sa mort, celui qui sépare la scène de ceux qui la regardent, celui que prend l’actrice pour retrouver celle qu’elle interprète. Marilyn et la jeune comédienne sur scène.


Lolita Chammah. Vraie blonde. Jeune actrice. Cherchant à sonder chaque mot. Lolita prend ces fragments pour elle aussi. Son histoire. Ses fantômes. Son avenir. Rêvant à son tour d’être quelqu’un ou quelque chose qu’elle n’est pas encore.


Une star.


Nous prenons les mots de M.M, nous la traquons de l’intérieur. Deux histoires se mêlent, celle des sentiments, de l’intelligence, de l’introspection et celle des journaux et des films, celle que nous pensons connaître. On se trompe : l’une n’est pas dissociable de l’autre. Sans ces mots-là, l’actrice n’a pas de peau, elle n’est faite que de fantasmes, c’est-à-dire de nous, de fiction. Avec eux par contre, c’est la réalité qui surgit brutalement. Une femme enfin, non pas réelle, mais possible.


Nous partons à sa recherche.
Nous ne voulons pas l’interpréter, mais la faire apparaître.

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