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Festen (Fête de famille)

mise en scène Christian Denisart

: Une bombe dans l'assiette

Eva Cousido rencontre Christian Denisart, juin 2007 - Extraits

Christian Denisart raconte avec une douceur amusée son travail sur Festen, pièce coup de poing, tirée du film éponyme produit par le label Dogma et Prix spécial du Jury au Festival de Cannes 1998. Un huis clos familial qui fait la peau au vernis social et envoie une claque monumentale aux règles de bienséance. Un drame à l’humour noir et jubilatoire.


Festen répond à une démarche esthétique qui cherche à évacuer tous les artifices cinématographiques. Très sobre donc, le film vous a-t-il immédiatement fait penser qu’il était aussi un objet théâtral ?


L’histoire du projet est tout autre. Des années après avoir vu le film, la jeune troupe romande d’improvisation Avracavabrac m’a demandé de créer la pièce. Ce sont eux qui ont perçu la théâtralité du film. La proposition m’a séduite, pour deux raisons principalement. D’une part, le fait que ce soit une troupe d’improvisation. D’autre part, le propos : Festen met chaque personnage face ses responsabilités et le pousse à prendre conscience de son rôle dans la situation donnée.


En quoi l’improvisation vous intéresse-t-elle ici ?


De ce film, je garde le souvenir d’une folie et d’une certaine brutalité d’autant plus extrême qu’elle est en décalage avec le formalisme du repas. Le secret est révélé d’emblée. On s’attend dès lors aux conséquences de cette bombe. Mais au contraire, certains convives tentent d’empêcher le malaise en racontant des gags, en niant la révélation. Il s’engage alors une sorte de lutte entre ceux qui veulent la vérité et ceux qui cherchent à la taire. Le vrai suspens est là. Dès lors, tout est possible. Le spectateur n’a aucune idée de comment les protagonistes vont réagir. Or, dans l’improvisation, le comédien ne sait pas ce qu’il fera dans les secondes qui suivent. Même si ici, il ne s’agit pas de cela, puisque les comédiens travaillent avec un texte écrit, ils ont toutefois l’habitude de gérer des inconnues. Ils connaissent cette urgence.


Comment apportez-vous cette inconnue ?


Par la présence sur scène de quatre spectateurs volontaires, conviés autour de la table.


Vous provoquez ainsi un qui vive sur scène. Cette notion d’ « ici et de maintenant » rejoint une des clauses du Dogme. Vous êtes-vous beaucoup inspiré de ce mouvement ?


Ce qui m’intéresse dans l’ « ici et maintenant », c’est qu’on ne sait pas où va aboutir ce repas. Personne ne sait comment réagir. Si cette situation était réelle, personne ne pourrait affirmer qu’il aurait telle ou telle conduite. C’est exactement ce que les spectateurs invités nous ont confié, après leur expérience scénique : ils se sentaient gênés et complices de ce qui se déroulait sous leurs yeux, sans savoir quoi faire. Tout l’enjeu pour moi était de mettre le public dans cette posture et d’éviter qu’il se désolidarise de ce qui se joue devant lui. D’où aussi, la disposition du public autour du plateau.


Vous cherchez à impliquer le spectateur dans l’intimité du spectacle. Comment cela influence-t-il votre direction d’acteurs ?


Je leur ai demandé de jouer de manière très réaliste. Mais ce réalisme vient aussi du texte. C’est une histoire terrible. Ce serait obscène d’user de fioritures ou de trucs. Quoiqu’il en soit, j’aime le réalisme dans le jeu, même dans les spectacles féeriques. Ça permet une identification immédiate avec le personnage. Le but est que le spectateur ne regarde pas une histoire de loin, qu’il ne s’en distancie pas.


Le fait d’engager ainsi le spectateur, est-ce une manière de le renvoyer à sa propre complexité ?


En effet. Ne donner aucune réponse, ne pas prendre parti, c’est une façon de conduire le public à prendre position par lui-même. C’est cela qui est si difficile dans la vie, car les situations ne sont jamais claires. Il n’existe jamais qu’une vérité, mais deux, voire plus. Considérer les points de vue divergents me paraît le meilleur moyen de faire avancer les choses. L’intérêt est de montrer des êtres dans leur humanité. Une des indications que j’ai données aux comédiens était de laisser planer le doute quant à la véracité de la révélation : folie ou mensonge du fils ? Le père est-il victime ou bourreau ?


En fait, ce qui vous intéresse n'est pas tant la question de l'inceste ou de la pédophilie, mais plutôt d’ouvrir une fenêtre sur les rapports humains ?


C’est ce que fait le film. Et c’est son immense force. Il n’y a ni jugement ni manichéisme, pas de méchants ni de gentils. On expose des faits bruts. J'ai l'impression que Vinterberg a choisi la bombe la plus sale possible, en travaillant sur le thème de l'inceste, pour qu’on ne puisse pas échapper à certaines questions, comme notamment la capacité à se cacher derrière les codes de bienséance. Il a choisi un thème qui provoque universellement un mouvement de recul. L'inceste choque au-delà des langues et des frontières. Mais ce n'est pas une pièce sur l'inceste.

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