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Extra Life

Gisèle Vienne ( Conception )


: Entretien avec Gisèle Vienne

Propos recueillis par Vincent Théval

Comment EXTRA LIFE est-elle connectée à vos travaux antérieurs ?


Gisèle Vienne : L’ensemble de mon travail est un long processus de réflexion qui se construit à partir du geste et travaille les cadres perceptifs. Chaque nouvelle pièce est une partie de ce processus. Et les précédentes ne restent pas figées, elles sont bien vivantes, en évolution, et font également activement partie de cette réflexion. Elles tournent toujours – pour la plupart – et nous continuons à les travailler et les réfléchir.
EXTRA LIFE déplie le processus de la pensée dans l’espace à travers l’expérience, le corps, la parole et tout ce qui fait langage artistique.
Un frère et une sœur ont réussi à verbaliser et articuler l’expérience traumatisante qu’ils partagent, le viol, ainsi que l’encodage perceptif désorientant, construit par une société patriarcale qui crée le déni des faits. Avec un humour subversif et de manière dramatique, la pièce aborde l’encodage perceptif qui construit le déni et celui qui permet son dévoilement et sa compréhension. Dans Kindertotenlieder, par exemple, la construction du déni est constamment à l’œuvre alors que le viol et le meurtre y sont clairement adressés : le criminel tente d’effacer brutalement le sujet révélé, les autres ne réagissent pas. On comprend alors qu’il ne s’agit pas seulement de révéler les crimes mais de les faire entendre dans un cadre perceptif qui est celui de notre société, qui s’évertue à les faire taire. Et on comprend ainsi le rôle extrêmement concret, physique et politique de ces questions théoriques liées aux cadres perceptifs, et le rôle structurel tout aussi concret du champ de l’art. Une fois comprises les mécaniques qui créent le déni, nous poursuivons notre travail avec EXTRA LIFE et adressons la reconstruction possible et le processus vital de re-sensibilisation.


Le titre EXTRA LIFE appelle plusieurs interprétations : l’idée de cette reconstruction possible, d’une « vie supplémentaire », mais aussi de l’expérience d’un moment déplié. Comment en rendez-vous compte ?


Gisèle Vienne : La pièce déplie un moment particulièrement important pour le frère et sa sœur, une fin de nuit, quelques heures, où une ouverture sensible nouvelle, commune aux deux personnages, va leur permettre de se rencontrer. Formellement, l’enjeu est d’imaginer – comme chez Proust ou Walser – comment on peut déplier un moment. Dans EXTRA LIFE, la dissonance formelle et les effets de collage, à travers les qualités rythmiques et esthétiques, permettent de rendre compte de différentes strates perceptives et d’inventer une forme qui constitue l’expérience présente, où se côtoient passé, présent, futur anticipé, construction du souvenir, imagination.
Je pousse davantage ici mon travail sur le collage des formes, qui correspond à une interrogation sur le processus de pensée.


Quels ont été les principaux moteurs de cette création ?


Gisèle Vienne : J’ai commencé à réfléchir concrètement à ce projet en 2018, à partir du travail de la philosophe Elsa Dorlin, notamment son essai Se défendre. Une philosophie de la violence. Le moteur, c’est le désir de travailler avec ces artistes exceptionnels que sont Katia Petrowick, Theo Livesey et Adèle Haenel avec qui la collaboration est déjà longue. Ce qui est passionnant et très beau dans la rencontre entre chorégraphe, metteur en scène et interprètes, c’est le développement d’une capacité à pouvoir s’entendre et se parler dans un langage protéiforme.
Ce que j’amène aux comédiens et aux danseurs, c’est une manière de jouer, un langage formel que je développe depuis vingt-trois ans et qu’ils contribuent à développer en s’en emparant. Puis la création devient un dialogue, dans cette langue.


Quelles formes prennent les différents outils de l’écriture ?


Gisèle Vienne : C’est une partition à six, entre les trois inter- prètes, Caterina Barbieri à la composition musicale, Adrien Michel à la création sonore et Yves Godin à la création lumière.
Avec Yves Godin, nous travaillons avec des lasers spécifiques permettant un travail sculptural immersif qui fait architecture.
La lumière travaille sur les structures visibles et invisibles. Pour la musique, je collabore pour la première fois avec Caterina Barbieri, qui joue du synthétiseur modulaire, un instrument qui se marie parfaitement avec les lasers. Dans EXTRA LIFE, on est dans un son très amoureux, comme si c’était là la matière de ce sentiment. La musique de Caterina a une couleur pop mais se situe dans un registre expérimental. Ses compositions ont cette musicalité particulière qui, pour moi, reflète la dramaturgie de l’amour avec beaucoup de sensualité, mais aussi d’autres émotions que la musique comprend très précisément. Le texte, avec ses différents registres de langues, est créé en collaboration avec les interprètes et travaille sur la capacité des mots à comprendre ou à désorienter.
Trouver des formes pour affirmer l’intelligibilité de la sémiotique du geste et des signes non verbaux – contre leur dépréciation ou leur mutisme forcé, leur relégation au champ de l’abstraction, du mystérieux, de l’inaudible – force le déplacement de nos habitudes perceptives et notre manière structurelle d’entendre et de voir le monde.


  • Propos recueillis par Vincent Théval
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