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En remontant le Niger

+ d'infos sur le texte de Arezki Mellal
mise en scène Maria Zachenska

: Note de mise en scène

« En remontant le Niger » est un texte ravageur, une loupe à peine déformante avec laquelle Arezki Mellal scrute, comme un entomologiste, le fantasme africain de l’Occident, un miroir tendu par l’Afrique à l’Occident, pour qu’il y contemple son reflet monstrueux.
C’est une pièce à la richesse foisonnante, un texte lumineux, puissant, qu’anime un amour profond de l’humanité, une foi en l’homme, un sens du désespoir et une drôlerie - une drôlerie par-dessus tout - brutale et fantastique.


On bascule rapidement de la délicatesse la plus extrême au comique le plus délirant : c’est Jarry doublé de Pasolini, c’est Copi en Afrique.


Tout y est dévoilé crûment. Nudité du corps d’une femme blanche, la mère, qui se fait masser par un homme noir, Moussa, le serviteur, parabole à peine voilée d’un désir de cannibalisme. Une femme réduite à son désir, une femme devenue sexe.
Tout au long de la pièce résonne le râle de cette femelle en rut. Il y retentit aussi la violence survoltée d’un homme, le fils, icône dénaturée d’un capitalisme avide et aveugle qui dévore à coups de téléphone et de dollars les hommes et les territoires. Personnage violent, grossier, démesuré, monstrueux presque.


Au coeur de la pièce, l’énigme enfin de l’africain Moussa qui endosse docilement sans qu’on le comprenne ni ne l’accepte, l’habit d’esclave dont on veut l’affubler, réalisant les uns après les autres les fantasmes de l’occupant, accoucheur pervers du dialogue. Jusqu’à ce qu’on découvre qu’il manipulait par son secret, tout ce petit monde, pour mieux s’en emparer, le dévorer peut-être, qui sait, à son tour.


Il ne faut pas chercher le réel, le naturel dans le texte d’Arezki Mellal, nous sommes dans le registre de l’excès, du grotesque même parfois. C’est sous le prisme de la comédie qu’Arezki nous livre son portrait au vitriol, une comédie qui tourne au vaudeville, ponctuée de dialogues rapides, décalés, de quiproquos, de fausses interprétations, d’accidents.
C’est un comique physique, quasi clownesque, fait de chutes, de gospels. Un comique délirant, fait de circoncisions, d’amputations et de ventes d’armes.


La langue, le petit nègre, produit un effet dévastateur, car elle n’est évidemment pas la langue de Moussa, mais bien celle des occidentaux. Un peu comme des parents parlant à leurs enfants dans un sabir de leur invention, baragouin que les enfants reproduisent à leur tour croyant parler la langue des parents. C’est ici la projection fantasmée et méprisante du français d’Afrique de notre paire d’incultes reprise à son compte, par calcul ou par facilité, par l’objet même de ce mépris.


C’est l’occident, monstre à deux têtes, (couple ubuesque) - mère et fils - contre nature, dégénérés, pervers qui viennent en Afrique pour y trouver le sexe, qui cherchent à acquérir, conquérir, vendre, posséder, en un mot : commercer du sexe et de l’argent. Couple invraisemblable de porcs affamés pour lequel la rédemption viendra par l’acte de cannibalisme, qui se retournera contre eux : le fils, finalement circoncis, amputé, émasculé.


L’espace ne peut être qu’unique. C’est un monde autant fantasmé que réel. L’espace est variable et n’a de réalité que la vision qu’en ont les personnages. Un espace aux contours incertains, changeants, protéiformes. Un espace traversé de lumières hypnotiques, qui iront de la blancheur froide des hôtels à l’occidentale, à la profondeur rouge brique de la terre africaine. Un espace en mutation constante qui s’invente sans cesse et que structure la lumière, en séries de visions hallucinatoires, nimbé de musiques empruntées à la tradition africaine et revisitées, de danses du Sahara retranscrites qui viendront aussi suspendre la comédie et produire le chaos des corps.


Le spectacle finira sur une note aussi optimiste que nostalgique. A la fin, c’est l’Afrique qui reste, avec ses enfants, ses mobylettes, sa poussière. C’est elle, le seul vainqueur et le seul vaincu. C’est une terre qui peut tout supporter et tout endurer, mais que rien ne sauvera et rien ne changera, en dehors d’elle-même. Elle a ses propres règles du jeu.

Maria Zachenska, metteur en scène

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